Les Ardennes ressemble fort à Bullhead. La société de production Savage Film est à l’origine des deux longs-métrages. Auteur de la pièce de théâtre sur laquelle s’appuie Les Ardennes, crédité au scénario et acteur principal, Jeroen Perceval était déjà au casting du film de Michael R. Roskam. Et pendant un temps, c’était Matthias Schoneaerts qui devait interpréter le rôle tenu finalement par Kevin Janssens.
Plus que l’équipe à l’initiative de ces deux longs métrages, ces derniers se rejoignent par le genre dont ils suivent les codes, le polar sous testostérone. Les Ardennes ne traite pas de trafiquants d’hormones comme dans Bullhead mais plus prosaïquement d’une fratrie de cambrioleurs.
Tension sexuelle
Excepté un prologue tout en caméra portée très confus dans sa construction, les deux premiers tiers du film installent une ambiance prenante. S’appuyant sur un canevas classique, la sortie de prison d’un malfrat ultraviolent et sa difficile réinsertion dans un environnement qui a forcément évolué, le récit se concentre sur le trio amoureux formé par cet ex-taulard, son frère resté en liberté, et la compagne du premier devenue depuis celle du second.
Par leur qualité de jeu, les acteurs font adhérer à leurs personnages aux allures de stéréotypes. Découverte dans Alabama Monroe, et récent Magritte (équivalent des César en Belgique) de la meilleure actrice, Veerle Baetens aimante la caméra d’une sensualité à la fois fragile et vénéneuse. Dans une Belgique grisâtre, faite de petites maisons, de HLM et de garage graisseux, le film prend des allures de tragédie grecque où il devient de plus en plus certain au fil des minutes que la mort est au bout du chemin.
De séquence en séquence, par une mise en scène proche des corps, Robin Pront lorgne du côté de Jacques Audiard et de son attrait pour les antihéros à la virilité contrariée. Le doux Dave, le petit frère qui a évité la prison, se retrouve à s’occuper du petit chien de la sexy Sylvie pendant qu’elle travaille en boite de nuit. Le psychopathe en puissance, Kenneth, se masturbant dans une chaussette tel un adolescent le temps d’une belle scène nocturne, semble toujours prêt à en découdre, pour un oui pour un non, toujours dans la revendication d’un statut de mâle dominant. Il y a de vraies qualités démontrées dans l’installation et le développement de ces enjeux souterrains qui tendent le récit comme un arc.
Frères Coen
Et puis survient une ellipse sèche qui rebat les cartes du film. Kenneth a soudain un corps sur les bras qu’il doit faire disparaître au plus vite. Il emmène pour cela Dave dans les Ardennes où résident des spécialistes de cette basse œuvre. Conséquence immédiate, le personnage de Sylvie disparaît du champ, ne s’invitant plus dans le récit que par des SMS intermittents. Malheureusement tout ce qui faisait l’intérêt des actes initiaux s’évapore avec elle.
Robin Pront décale le face-à-face attendu entre les deux frangins pour décrire la région ardennaise façon Frères Coen dans Fargo. Recherche d’une inquiétante étrangeté, décalage par l’absurde, difficile de savoir quel effet veut produire le réalisateur par ce changement brusque de braquet. En tout cas, il y échoue clairement emmenant petit à petit son film vers un grand guignol mal venu. Complice travesti, autruches agressives en liberté, police incompétente sur les dents, l’action se délite dans un enchainement meurtrier des plus improbables. Le twist final qui fait réapparaître opportunément Sylvie n’arrange rien à l’affaire car termine de gâcher les promesses du début du film : la tragédie grecque annoncée accouche d’un petit vaudeville sanglant.
Suivant encore une fois les pas de Michael R. Roskam, Robin Pront va partir aux États-Unis pour réaliser son second film. Espérons que comme son prédécesseur, et son réussi Quand vient la nuit, il puisse exprimer outre-Atlantique ses qualités de faiseur et opte pour plus de sobriété.