Dès les premières images, on sent Mère et fils menacé par un des innombrables pièges tendus à ceux s’étant arrogé le pouvoir de la mise en scène de cinéma : l’outil à double tranchant du « parti pris formel ». Soit le décret que l’on va tourner le film tout entier de telle ou telle façon, suivant des principes esthétiques lisibles. Certes, des cinéastes ont offert des chefs d’œuvre sur la base de partis pris formels, parce que ceux-ci s’accordaient à une véritable vision du monde, à une position sincère vis-à-vis de ce qu’ils filmaient. Dans trop d’autres cas, en revanche, il ne s’agit que d’appliquer des principes pour des motifs plus distants, moins personnellement endossés, comme par soumission à un académisme se faisant passer pour une posture d’auteur. Le risque encouru est que, plutôt qu’un éclairage et une perspective sur ce qui est filmé, on n’obtienne que la mise en avant des partis pris eux-mêmes, de l’intrusion de la caméra et de ses visées auteuristes.
Mère et fils appartient à la seconde catégorie — sans être un des pires spécimens, mais non sans susciter quelque regret. Jamais on ne comprend vraiment pourquoi la caméra, portée à l’épaule (et frémissant, comme le veut la tradition, au moindre mouvement et même quand rien ne bouge devant elle), persiste à se coller si près des corps, au point qu’entre deux interlocuteurs elle s’en remet souvent au champ-contrechamp ou au balayage de l’espace entre eux. Les corps, les personnages, même filmés de si près, ne révèlent rien de plus, et l’idée de séparation entre eux (la plupart des rapports dans ce film sont conflictuels) ne s’en trouve que soulignée de façon grossière. Tout ce qui ressort de ce parti pris peu productif se résume à la proximité d’une caméra signalant sa présence et son agitation — le genre d’évidence dont on se passerait bien.
Intrusive
C’est d’autant plus regrettable que le réalisateur Călin Peter Netzer a un sujet véritablement poignant à filmer : Cornelia, le personnage principal porté par Luminița Gheorghiu (actrice remarquée dans quelques récents films qui nous sont parvenus de Roumanie, ceux de Puiu, Mungiu et Porumboiu). Mère et fils nous fait suivre les démarches de ce personnage pas des plus sympathiques, agissant pourtant pour une cause des plus touchantes : faire éviter la prison à son fils, qui a accidentellement tué un enfant au volant de sa voiture. Or en usant de tout son pouvoir de mère et de bourgeoise pour plier l’enquête à son avantage, invoquant le droit tout en en biaisant la lecture, intimidant plus ou moins insidieusement ceux qui l’entourent, elle ne fait, durant tout le film, qu’étaler sa névrose : son besoin pathologique d’exister aux yeux des autres, de s’imposer au milieu d’eux, d’être écoutée et satisfaite, au grand dam des institutions et de ses proches, y compris le fils qui ne se débat que pour trouver une issue à sa situation sans devoir subir la poigne de cette envahissante génitrice.
Si on suit sans ennui cette figure intimidante et l’évolution de cette relation mère-fils empoisonnée, il faut en créditer la qualité de l’interprétation et de l’écriture. Mais on ne peut s’empêcher de regretter que ces enjeux se jouent dans un récit ne semblant s’y intéresser qu’à distance, mené par un cinéaste qui, occupé à réciter son bréviaire du filmage vériste et proche des frémissements des êtres (ou qui se prétend tel), se contente d’enrober les performances dans un écrin un peu informe, avec une caméra qui les regarde moins qu’elle regarde ses propres mouvements, sa propre posture — comme si Netzer espérait que personnages et enjeux s’imposeraient d’eux-mêmes. Cette dernière attente ne serait pas un bien grand mal, si seulement les prétentions de mise en scène ne l’entravaient pas de cet écrin formaliste mou.