S’il n’avait jamais laissé s’ouvrir sa portière, le taxi noir aux vitres fumées de Night Fare, semant la mort, œil rouge au front, se serait peut-être vu conférer l’épatant sentiment de toute-puissance véhiculé par le Mabuse d’un Fritz Lang. Hélas et passé cette habile et introductive personnification, le film de Julien Seri s’avère rouler à des kilomètres du génie des mises en scène acousmatiques du cinéaste allemand. Car de mise en scène il n’est ici question que d’esbroufe bling-bling négligeant toute idée, caméra au poing, au profit d’un montage éculé – parsemé de ralentis muets et autres flammes juxtaposées en fondu enchaîné – pressant inexorablement la pédale de références clipesques criantes de médiocrité.
Ce que tentera de nous narrer cet involontaire hommage au travail de Chris Macari, ce sont les nocturnes aventures de Luc et Chris, musculeux ado attardé de trente ans et pseudo-dandy anglais chuchotant en permanence pour se donner un genre (celui d’un Chuck Bass de Gossip Girl, au mieux). Se retrouvant après quelques années d’éloignement et sous l’impulsion du plus idiot des deux (Jonathan Demurger, acteur de séries B, campant un vieux gamin virilisé par une paire de Ray-Ban et une veste en cuir), les deux copains font quelques bêtises et fuient un taxi sans en payer la course. Leur chauffeur se met alors en chasse, prêt à en découdre.
Des soucis mécaniques aux alarmes idéologiques
Dix minutes se sont à peine écoulées que le troisième long-métrage de Julien Seri a déjà ouvert et à moitié englouti – sous nos yeux ébahis – le vaste dictionnaire des grossiers poncifs qu’il assène sur la jeunesse d’aujourd’hui. De la pornographie à FIFA, aux discussions enflammées sur la récente apparition du verbe « zlataner » ou l’insaisissable charme de l’accent anglais, l’essentiel de ce qui pourrait évoquer « l’adolescent moyen » du JT – soit personne en particulier – s’est insupportablement vu passé au crible par deux comédiens trop vieux pour ces rôles et jouant de leur charisme – le second degré en moins – comme s’il s’était agit du tournage d’une publicité Nespresso.
Alors qu’il les prend en chasse dans les impersonnels et désertiques décors qu’aurait pu sélectionner Kaaris en vue d’un prochain clip de rap (cité HLM, parking et autres usines désaffectées), nous nous prenons alors à rêver que ce pauvre chauffeur de taxi parvienne au plus vite à rosser ces deux insupportables têtes à claques ; à l’occasion, par exemple, d’hommages rendus à ce que Kill Bill (le katana qui fait voler les membres) ou Terminator (la clé de douze dans la nuque qui ne peut freiner l’impériale marche de notre surhomme) peuvent avoir de plus cartoonesque. Impossible, dans ces conditions, de laisser s’opérer la mécanique du thriller. L’empathie pour les éventuelles victimes à venir n’est pas là et le triangle amoureux les mettant aux prises avec une jeune fille qu’ils ont tous deux aimée peinera également à la susciter, tant la vision de l’amour ici proposée nous semblera surannée. Plus passive encore que la Julia qu’elle incarnait chez Emmanuel Mouret (Changement d’adresse), le personnage de jeune femme entre deux hommes, à nouveau interprété par Fanny Valette, ne saura jamais mieux aimer que dans la jalousie, se soumettre à défaut de choisir, ou hurler lorsque confrontée.
Mais l’idéologie de Night Fare ne se contraindra pas à sa courte bluette et ne révèlera totalement sa moraliste abjection qu’en dernière instance, à travers une conclusion discrètement – mais résolument – fasciste et viriliste. Sous couvert d’une évidente inspiration puisée dans les shônen et leurs traditionnelles quêtes initiatiques, le film de Julien Seri tentera alors de nous donner ses clefs pour l’espoir de notre jeunesse : se faire séquestrer jusqu’à la lobotomie par un sage maître à penser, progressivement lui obéir contre un peu de riz, jusqu’à enfin apprendre à canaliser sa violence en tabassant et cognant du salaud plutôt qu’en spoliant n’importe qui. L’on pourra alors – et au moins – rire jaune de l’involontaire cohérence entre le fond et la forme d’un film, résolu à foncer pleins phares sur nos jeunes générations, plus violemment encore que son personnage principal sur ses tristes victimes.