Telepolis porte à l’origine le titre de La Antena. Si le traducteur a voulu, via une homonymie partielle, souligner la parenté du second film d’Esteban Sapir avec l’œuvre de Fritz Lang, force est de constater que cette volonté est redondante, tant l’influence du réalisateur de Metropolis y est évidente.
Dans la Ville sans voix, les citoyens sont contrôlés par un appareil d’état répressif et liberticide qui leur a, littéralement, enlevé la voix, et qui les maintient sous le joug grâce à une télévision omniprésente. Seul subsiste La Voix, la seule personne encore douée de la faculté de parler et de chanter. A l’insu du pouvoir, la Voix a donné naissance à un petit garçon aveugle, qui lui non plus n’est pas touché par le mutisme. Lorsque sa mère est enlevée pour servir l’appareil de propagande du gouvernement, le jeune garçon tente de se lancer à sa rescousse.
Noir et blanc neigeux (au sens propre comme au figuré), maquettes d’immeubles cyclopéens, ville tentaculaire, gestuelle outrée, focalisation sur des visages surexpressifs, accents de dénonciation du totalitarisme : à la lecture des options narratives et visuelles d’Esteban Sapir, il paraît très clair qu’il a voulu rendre un hommage appuyé à Metropolis, et à Fritz Lang en général. Mais son film s’arrête-t-il là ? Se contente t‑il de n’être qu’une citation appliquée ? Il s’en faut de beaucoup. Les habitants de la Ville sans voix ne parlent pas ? Si : leurs paroles apparaissent en tant que sous-titres qui existent de façon tangible à l’image – et les personnages doivent interagir avec leur présence physique. Le jeune aveugle veut-il comprendre les paroles de ceux qui l’aident ? Il devra passer les mains sur les bouches de ses interlocuteurs. De la même façon, ce ne sont pas les balles qui tuent un homme, mais les lettres décrivant le bruit émis par les armes à feu.
Le monde décrit par Esteban Sapir est d’une cohérence parfaite, une fois posée la métaphore de dictature (les citoyens sans voix) comme devant être prise au pied de la lettre (si l’on ose dire). C’est un univers à la Prévert, aux images sorties de Fritz Lang bien sûr (particulièrement Metropolis et M le Maudit), mais aussi de Georges Méliès, Luis Buñuel, Jean Epstein… – mais qui n’oublie pas d’assumer son identité propre. C’est tout le talent d’Esteban Sapir, de savoir extirper son récit du piège de l’hommage servile et stérile ; de savoir entremêler ses références et ses propres idées poétiques. Poétiques, et politiques, car le propos de Telepolis se veut, de ce point de vue, autant d’une simplicité désarmante que d’une lucidité redoutable, renouvelant ainsi l’approche de Fritz Lang dans Metropolis.
Impressionnant exercice de remake total, dans la forme (datée) comme dans le fond (actuel, mais dépendant de la forme malgré tout), Telepolis souffre peut-être d’un trop-plein de la naïveté que l’on associe aux films de l’époque de son modèle affiché. Qu’à cela ne tienne : la beauté et l’audace de l’entreprise pallieront les fautes d’un enthousiasme peut-être un peu trop ardent.