Retiré des affaires suite à une bavure du coéquipier qu’il a lui-même formé, l’agent de la CIA Devereaux doit reprendre du service pour exfiltrer de Moscou une ancienne maîtresse. Mais une magouille interne à l’agence (deux équipes envoyées à l’insu l’une de l’autre) conduit au meurtre de la femme par — devinez qui ? — Mason, l’ancien élève qui a pris du galon. Devereaux se fâche tout rouge, extermine promptement les agents d’en face à l’exception de son ex-poulain, puis part en solitaire (avec l’autre à ses trousses pour le tuer) remonter la piste de la victime dans une enquête mêlant deuxième guerre de Tchétchénie, général russe corrompu et CIA compromise. Malgré les quelques sophistications géopolitiques de l’intrigue qui nous balade aussi à Belgrade, on est aussi loin que possible de John Le Carré (ou de l’adaptation récente et passable d’un de ses romans, Un homme très recherché) : les atours du film d’espionnage s’avèrent purement décoratifs, à l’image des règles que les espions sont censés se donner. Dans la scène d’ouverture, Devereaux, pas encore retraité, rappelle à son disciple un peu trop insouciant qu’il doit se défier de toute attache sentimentale ou sexuelle. Plus tard, lorsque Mason courra après Devereaux, il apprendra que celui-ci a dérogé à sa propre règle, avec sa maîtresse et même l’enfant qu’il a eu d’elle ; vexé, il relâchera à son tour sa propre ligne de conduite. À ce moment-là, les personnages comme le film auront déjà, depuis un moment, définitivement abandonné toute prétention à jouer aux vrais agents de l’ombre pour embrasser ce à laquelle ils tendaient depuis le début : le duel viril de deux concurrents au poste de nouveau Jason Bourne, à coups de tatanes et de flinguages en tir rapide.
Gibet pour un J.B.
L’ennui est que The November Man n’a guère plus à proposer au rayon du film d’action qu’à celui du film d’espionnage. C’est comme s’il ne s’agissait que de poser en film de ces genres, en espérant que la mécanique de ceux-ci coulera de source. Le calcul, complètement à côté de la plaque, est à l’image de son annonce dans le face-à-face arme au poing entre les deux têtes d’affiche. Ils se dévisagent, puis se détournent, et l’un d’eux déclenche une bombe qui explose entre eux, permettant à chacun de s’immortaliser dans la pose ultra-ringarde (et revue récemment dans l’inénarrable Equalizer d’Antoine Fuqua) du héros cool marchant face caméra et dos au mur de flammes en arrière-plan. Tout le film est ainsi, ne culminant qu’à ce moment dans le ridicule, mais invariablement figé dans des situations déjà dérivées deux cents fois avant lui, n’accrochant strictement rien dans son sillage, survolant en pilotage automatique tous ses enjeux réels ou potentiels, qu’ils soient de l’ordre du suspense, du mystère ou purement émotionnel (dommage d’accumuler autant d’intrigues de vengeance pour qu’à l’arrivée on n’en ait strictement que faire…).
Pourtant on sent la volonté de bien faire, à commencer par celle de Pierce Brosnan dans le rôle du maître espion d’âge mûr, droit comme un « i » et le ton assuré pour prendre l’ascendant psychologique, mais serrant les dents et écumant de rage quand ses êtres proches et son amour-propre sont touchés — comme une variante torturée et sanguine du personnage qu’il perpétue dans presque tous ses films depuis vingt ans. Problème : rarement on l’aura vu aussi mauvais (ce qui, vu sa médiocrité habituelle, était une gageure). Du coup, la sueur qu’il y laisse passe pour une tentative pénible de se couler dans le moule d’un archétype mal fagoté pour satisfaire chez lui des désirs contradictoires — passer d’un « J.B. » à l’autre, en somme, de James Bond à Jason Bourne (à moins que ce ne soit au Bond version Daniel Craig), mais sans se décider à faire le deuil du premier. Le fait qu’il soit coproducteur du film, et initiateur de cette adaptation d’un roman faisant partie d’une série potentiellement convertible en franchise, ne contredit pas ce sentiment. Il faut ajouter, à sa décharge, qu’il n’est pas vraiment aidé, que ce soit par son fade vis-à-vis (Luke Bracey, transfuge d’un soap australien, déjà promis au remake annoncé de Point Break) ou par le tâcheron qu’il s’est adjoint pour la mise en boîte, Roger Donaldson. Celui-ci, comme à son habitude, confond efficacité et alignement machinal de plans et de raccords à la brutalité brouillonne, sans autre parti pris que le savoir-faire relatif et servile du faiseur mou : un échange de tirs ou de coups rapides au montage serré par ci, un crochet du droit faisant jaillir le sang au ralenti par là, Donaldson semble manger à tous les râteliers pour pallier son absence d’idées esthétiques (sans parler du reste). En somme, tout le monde ici fait son boulot comme il peut, avec ses habitudes professionnelles, mais au fond personne n’y croit vraiment. Conséquence inévitable : nous encore moins.