La renommée grandissante de l’adaptation du roman de l’Allemand Bernhard Schlink Le Liseur par Stephen Daldry — film pour lequel l’actrice Kate Winslet a reçu un oscar cette année — n’est sans doute pas étrangère à la production et la distribution de The Other Man, tiré d’une nouvelle du même auteur par l’homme de théâtre Richard Eyre. Bien que la nouvelle ait été écrite et publiée en 2000, le réalisateur de Stage Beauty et de Chronique d’un scandale tâche de lui donner un contexte plus moderne — par une volonté un peu artificielle de mettre le propos en phase avec son temps. Mais la modernité, au cinéma comme ailleurs, ce n’est pas si simple.
Les époux de la nouvelle ont été rajeunis, la femme n’est plus musicienne mais créatrice de chaussures de mode, elle ne communique plus avec son amant par lettres mais par e‑mails qu’elle stocke dans un répertoire encrypté sur un MacBook ™. En dehors de ces quelques gadgets, cette adaptation nous ressert, vue du point de vue du mari en proie au doute après la disparition de sa moitié, une histoire de ménage à trois aux ressorts très rebattus. Soit une femme aux occupations vaguement artistiques (Laura Linney, minimaliste), mariée à un ingénieur informaticien aimant mais un peu trop routinier (Liam Neeson, tout en voix rauque un peu pénible) qu’elle estime tout en trouvant l’amour passionné dans les bras d’un autre (Antonio Banderas, dont la vision en vieux beau à la prestance cadrée en plan rapproché reste assez fascinante). On sent bien qu’avec ces personnages en demi-teinte (la femme secrète, le mari qui se surprend à la violence en découvrant son cocufiage, l’amant parasite social), le film voudrait engager les questionnements sur des relations de couple basées sur le mensonge et l’omission, et la difficulté pour chacun d’assumer la vérité sur soi-même et sur ses proches.
« Cellule familiale »
Pour y parvenir, il aurait fallu que ce drame de l’adultère et de la jalousie lance quelque piste vers le réel intime qu’il fait mine de vouloir faire remonter à la surface. Or il ne décolle jamais au-delà d’un alignement de clichés surannés, articulés par des mises en situation des plus artificielles. Linney s’épanouit au grand air et sous la couette avec son latin lover méditerranéen beau parleur au cours de week-ends romantiques sur le lac de Côme, et Neeson d’engager les hostilités avec son rival autour d’un plateau d’échecs. Dès lors, de rencontres invraisemblables (Neeson croise sur un trottoir de Milan sa propre fille qui venait le chercher) en situations jouant d’une excentricité en toc (Banderas refaisant sa plomberie et nourrissant son perroquet), chaque scène donnant immédiatement lieu à des dialogues se voulant tellement subtils qu’ils en deviennent lourds de leur sur-écriture, l’ensemble fait l’effet d’un roman-photo porté à l’écran avec des procédés de théâtre filmé en lieu et place d’un travail de cinéma. Ainsi, d’une ellipse du début (la disparition de Madame), on nous révèle le contenu aux deux tiers du film, ce qui entraîne aussitôt un grand déballage psychologique sur la médiocrité des âmes de chacun, expédiant alors tout ce qu’on se proposait d’intéressant à dire au départ, sans plus d’autre choix que de diriger les dernières minutes sur une voie de garage assez floue, entre pardon et repli sur soi.
The Other Man, malgré une certaine recherche de modernité, se révèle en fait un objet assez poussiéreux, et même pas aussi progressiste qu’il voudrait l’être dans son récit d’un amour clandestin mais vrai. Si les photos volées des deux amants, avec leur gros grain façon Nan Goldin, ont quelque chose de rafraîchissant, la relation extra-conjugale reste marginalisée, interdite, appelée à cesser. Le film évolue à se resserrer autour d’une cellule familiale réduite au couple père/fille à la simplicité rassurante, d’où tout élément extérieur susceptible de s’y interposer (la mère fautive, son amant, mais aussi le petit copain de la fille, qu’on montre constamment à la ramasse) est insidieusement exclu. Sérénité retrouvée en se repliant sur ce qui reste de son cocon familial : une vague odeur de renfermé flotte sur cette petite vision de l’existence.