Bien qu’il ne lésine pas sur les crescendos de cordes anxiogènes, le troisième long métrage de Juan Carlos Fresnadillo échoue sur l’essentiel, et ne risque pas de troubler les nuits de ses spectateurs.
Si peu attendu que soit le film, le réalisateur d’Intacto et 28 semaines plus tard avait quelque chose à jouer avec Intruders, coproduction internationale au casting hispano-germano-hollando-britannique plutôt chouette sur le papier : sa valeur réelle de cinéaste de genre. 28 semaines fonctionnait à merveille, au point d’avoir épaté tous ceux qui redoutaient un peu la suite du 28 jours de Danny Boyle, lequel avait ni plus ni moins sonné le réveil d’un genre. Seulement ce même Danny Boyle, qui n’officiait sur le sequel qu’en tant que producteur exécutif, y avait semble-t-il joué plus qu’un rôle d’appoint, allant selon la rumeur jusqu’à diriger la fameuse et ultra-immersive scène d’ouverture, qui avait fait beaucoup pour fermer d’emblée le clapet d’éventuels détracteurs. La question de savoir quelle part il fallait attribuer à Fresnadillo dans cette réussite restait donc posée. Intruders apporte un élément de réponse, et malheureusement pour l’Espagnol, il ne lui est guère favorable. Non que sa réalisation soit indigne, loin s’en faut, même si l’on s’interroge parfois sur le degré de nécessité de certains (jolis) plans aériens, par exemple. Mais force est de constater qu’après vingt minutes de film, Intruders ne paraît pas avoir vraiment démarré, et que l’impression, tenace, ne se dissipe pas franchement par la suite.
Intruders, c’est tout d’abord le retour du croquemitaine qui hante les songes de gosses rendus insomniaques, la résurrection du monstre du placard croqué par les mites et encapuchonné pour dissimuler ici son absence de visage (attention, indice) ; une créature qui se faufile entre rêve et réalité tel un anti-Freddy Krueger dénué d’ornement comme de tranchant (on n’est pas dans le slasher), le tout saupoudré d’une vague échappée ésotérique via le prêtre catholique espagnol incarné par Daniel Brühl. Seulement cet être-là, un peu vain, a beau surgir des recoins, et sa menace (dérober le visage des enfants) se voir – évidemment – énoncée au travers d’un conte/cauchemar enfantin, il ne fait pas véritablement peur. Pire, l’ensemble ne fait pas rire non plus, vu la façon dont le péril est pris au sérieux non seulement par un petit garçon espagnol et une pré-ado anglaise, mais aussi par la mère du premier et le gentil papa de la seconde, interprété par un Clive Owen qu’on a connu plus impliqué. Soit deux histoires narrées en parallèle, et sur la liaison desquelles le spectateur est invité à mener son investigation.
S’installe alors le sentiment qu’on pourrait attendre des heures sans que le moindre artifice dramatique vienne réellement nous clouer au fauteuil – l’attente est un effet dont il ne faut pas abuser, dans un tel cadre… Intruders déroule presque sans heurts sa languissante intrigue en miroir, un brin avare de visions d’épouvante ; c’est sans doute assez confortable pour certains, mais pour ceux qui espéraient sensation plus intense qu’un léger frisson, l’ennui affleure au milieu des clichés (thèmes, décorum, musique, ombres et lumières…), au fil de scènes ou dialogues pas toujours adroits. Le film offre en passant une confirmation rassurante, à bien des égards : même injectée à haute dose, la bande-son dite « à sursauts (et à gambades ?)» reste une trop frêle béquille pour communiquer l’angoisse, lorsque le récit (qui ne tient pas forcément debout) n’y suffit pas.
En jouant ainsi sans trop innover sur l’imaginaire hautement traumatique de l’enfance et le doute interprétatif (folie contagieuse ou bogeyman, réalité ou hallucination ?), Intruders tente longtemps de s’arrimer par le fantastique à la fois au genre horrifique (l’Espagne a imposé son école depuis quelques années) et au thriller psychologique, parcouru d’incertaines réminiscences hitchcockiennes (affres du refoulé). Parce qu’il ne fait pas frémir, il échoue dans sa première mission ; parce qu’il manque cruellement de tension, le film n’est jamais palpitant… ce qui reste hautement problématique pour un thriller. Certains trouveront peut-être quelque habileté de scénariste à sa résolution/twist (ceci dit sans déflorer un suspense bien mince pour qui se donne la peine de questionner sa construction et d’identifier le défaut d’information), quand s’emboîtent les éléments de l’énigme pour démasquer la nature du monstre sans visage, mais il est bien tard pour arracher le spectateur à sa relative indifférence – c’est bien simple, à peine avait-on cherché à le résoudre, ce mystère.