Dans ses rares réalisations, Valérie Lemercier passe au tamis de la comédie une poignée de « caractères » bourgeois, voulant révéler la vanité d’un esprit de classe prétendument supérieure. Ainsi balancés dans l’arène boulevardière, les snobs, les aristos et autres nantis perdent de leur superbe – et c’est toujours une belle revanche de voir les prétentions des happy few se noyer dans des divertissements si parfaitement populaires. Pour son quatrième film derrière la caméra, la comédienne se retrouve malheureusement confrontée au problème mathématique annoncé par son titre : 100% cachemire est intégralement consacré à emmitoufler son personnage principal dans le petit confort de tout un tas de justifications afin d’immédiatement gommer son ridicule. Il n’y a tout simplement pas de place pour la parodie acerbe attendue.
« Mon dieu que vous êtes naïfs. Les préjugés ont donc décidément la vie dure. Sachez donc, si cela peut vous rassurer, que les habitués du Palace sont exactement faits comme vous et moi », nous informait, avec un mélange exquis de dédain et de bienveillance, Valérie Lemercier, alias Lady Palace dans la série de Jean-Michel Ribes qui révéla la comédienne à la fin des années 1980. En d’autres mots, et comme le montraient les deux précédents films de l’actrice-cinéaste, même les proctologues hautains s’empiffrent de Babibels et de Danettes (Dieudonné dans Le Derrière), tout comme les monarques se détendent en faisant « toute une série de p » (Catherine Deneuve dans Palais royal !). L’humour de Lemercier reposait exactement sur cela : lester l’orgueil des bourgeois avec quelques détails prosaïques afin de réduire l’écart entre les classes sociales. Par moment, on sent bien que 100% cachemire voudrait en faire autant, mais finalement ce sont surtout les petites gens qui finissent par se faire brocarder.
Aleksandra (Valérie Lemercier), rédactrice en chef de l’hebdomadaire féminin Elle, décide avec son galeriste de conjoint (Gilles Lellouche) d’adopter – où plutôt d’acheter – un enfant. Le petit Alekseï se révèle être une sacrée teigne. Mais, bien évidement, il finira pas se calmer et aimer ses nouveaux parents dans une ambiance mielleuse censée évoquer les fins heureuses des contes de Noël. 100% cachemire est donc l’histoire à rebondissements d’une greffe qui échoue avant de miraculeusement prendre. Tout au long de cette opération, l’enfant – pourtant principal enjeu du film, annoncé comme une « comédie sur l’adoption » – n’a le droit qu’à des miettes de scènes. C’est qu’il est avant tout un kyste dans la vie de ce couple de Parisiens très aisés, une écharde dans la chair de cette existence si paisible. Mais personne ne semble plus gêné par sa présence que la réalisatrice : au mieux, il se retrouve cantonné au rôle de faire-valoir, au pire, il est tout bonnement absent. En réalité, l’orphelin s’avère être essentiellement un prétexte : sur les bas-côtés de la fausse intrigue créée par l’adoption, des tas de personnages pullulent, sûrement dans l’intention de construire une sorte de galerie de portraits, tous croqués par l’humour de Lemercier.
Réduits à des figurines défilant comme dans un stand de tir, ces personnages ne valent pas plus que des cibles sur lesquelles s’abattrait expéditivement une rafale de clichés : les provinciaux raffolent de surimi (périmé de surcroît) et ne comprennent pas les références à Albert ou Léonard Cohen ; les secrétaires fainéantes ne conservent leur travail qu’en pratiquant le chantage… Et, quand c’est enfin au tour des bourgeois de se faire tailler un costume (la mère de Lellouche ou le voisin pète-sec), on comprend que toute cette farandole de personnages secondaires sert une fonction très précise : immuniser Aleksandra, cacher ses défauts derrière la bêtise des autres. Alors que, jusqu’à présent, les personnages incarnés par Valérie Lemercier ne valaient pas plus que les autres, celui de 100% cachemire semble toujours valoir plus que ses erreurs (alors que pourtant, ce ne sera pas une petite erreur de parcours, mais un crime puisque Aleksandra forgera des documents administratifs pour pouvoir se débarrasser d’Alekseï). On ne parlera même pas de l’absolution qu’est supposée offrir la mention du suicide de la mère d’Aleksandra le jour de sa naissance – vain effort pour tout excuser en convoquant un traumatisme ancien, lâché comme un cheveu sur la soupe.
Tout cela est d’autant plus dommage que le film laisse parfois entrevoir certaines idées qui, tristement, jamais n’éclosent. Il y a notamment tout un jeu sur les apparences qui se met en place plutôt habilement avec, entre autre, l’utilisation des écrans comme lieux où les personnages se retrouvent dépouillés de leur masque social. Au bout du compte, 100% cachemire ne vaut pas plus de 10% de ce qu’il pourrait être.