Vrai-faux biopic de la star québécoise Céline Dion réalisé et interprété par Valérie Lemercier, Aline avait beaucoup pour intriguer tant il semblait renouer avec la formule qui avait fait le succès du meilleur film de Lemercier à ce jour, Palais Royal !. Il y a une forme d’évidence dans la rencontre de Valérie Lemercier avec Céline Dion, superstar improbable dont l’immense popularité n’a d’égale que le mépris qu’elle suscite chez certains (y-a-t-il catégorie plus honnie dans la hiérarchie culturelle que « chanteuse à voix » ?). Autres paradoxes : cette voix d’une puissance et d’une grâce inhumaines, mystérieusement contenue dans le corps frêle d’une femme truculente et excentrique ; ou le grand écart entre une vie personnelle intense, richement documentée par la presse, et des tubes easy listening visant l’universalité des sentiments à travers des formes neutres et dénuées de personnalité. Grandiose et ridicule, girl next door bigger than life, Dion semblait du pain béni pour que Lemercier donne libre cours à ses excès performatifs, et l’on sent dans de brefs moments – comme dans cette courte séquence où Aline Dieu (alias Céline Dion) raconte devant le public hilare d’un talk show l’hospitalisation de son mari et manager Guy-Claude (alias René Angelil) – le film à la fois hilarant et émouvant qu’aurait pu engendrer cette figure.
Aline pourrait marcher sur la même corde raide entre ironie et sincérité sur laquelle se maintenait miraculeusement le singulier Guy d’Alex Lutz mais il n’y parvient qu’en de très rares occasions, la distance vis-à-vis de la figure filmée n’étant jamais la bonne. Les premières minutes du film déroulent la micro-épopée familiale de la famille Dieu à la manière de la touchante ouverture de Là-haut, et dans la photo léchée, la volonté d’ampleur narrative, on sent que pour la première fois, Lemercier essaie de faire cinéma. Mais, quelques minutes plus tard, patatras : la petite Aline naît, et on découvre avec effroi le visage de Lemercier greffé numériquement sur le corps d’une fillette de treize ans, expédiant le film tel un wagon fou de train fantôme vers la même uncanny valley que les clips d’Aphex Twin et de Missy Elliott. L’étrangeté de cet effet spécial n’est pas inintéressante, mais on ne parvient pas très bien à comprendre s’il est volontairement comique ou non, et le film n’accouche jamais tout à fait de la dimension carnavalesque voire camp qui faisait tout le sel du Derrière et de Palais Royal !. Le visage à l’expression ahurie, aux traits curieusement raidis et inexpressifs de Lemercier-actrice, pose problème jusqu’à la fin d’Aline. L’impression qu’il est « posé là » comme un effet spécial à la fois vaguement rigolo et légèrement terrifiant demeure d’un bout à l’autre du film, peut-être parce que l’on ne cesse de filmer Lemercier de loin, de dos ou de biais en jouant sur des effets de silhouettage, pour permettre à Céline Dion de s’incarner en elle. La comédienne imite avec sa minutie coutumière les maniérismes physiques de la chanteuse, de manière parfois vraiment troublante – même pour un spectateur peu familier de Céline Dion – tant on reconnaît immédiatement des attitudes et postures caractéristiques de la star. Mais chaque contrechamp, chaque travelling qui nous ramènent au visage de l’interprète vient immédiatement rompre la suspension d’incrédulité : le refus de l’imitation parfaite comme de la parodie produit un entre-deux sans grand relief. Comme le précédent long-métrage de Lemercier, le très fade Marie-Francine, le film reste toujours juste en deçà d’une vraie drôlerie, les quelques situations au potentiel comique (le limage des dents disgracieuses de l’héroïne, ou le passage où son médecin lui interdit de parler pendant trois mois) étant trop rapidement désamorcées.
Il est tout à l’honneur de Lemercier d’avoir refusé de faire le film sur le dos de Céline Dion en l’instrumentalisant comme objet de moquerie, mais il est regrettable qu’elle ait abandonné au passage toute forme de distance satirique vis-à-vis du monde qu’elle a choisi de filmer. Le film enfile ainsi les poncifs (la star internationale qui n’a pas oublié ses racines prolo, l’amour impossible empêché par une mère étouffante) comme des perles sur le collier biographique, avec un premier degré absolument confondant : en témoignent ces contrechamps sur les visages bouleversés du maquilleur et du frère d’Aline quand elle entonne un morceau emblématique sur scène après la mort de son mari. Certes, tous les films de Lemercier après Quadrille – adaptation plaisante mais dispensable d’un classique de Sacha Guitry – partent d’un postulat de conte de fées, sans doute une manière de revanche pour celle que des films aussi médiocres et misogynes que Sexes faibles ! de Serge Meynard ou Casque bleu de Gérard Jugnot avaient longtemps cherché à enlaidir et à ridiculiser, comme pour lui faire payer le prix d’être femme et comique. Les meilleures de ses réalisations injectaient cependant toujours une bonne dose de vitriol dans la guimauve. Dans Le Derrière, une vieille fille coincée accédait à la féminité et s’éveillait à l’amour et à la sexualité en… se travestissant en homme gay à l’accent du Sud-Ouest, semant le trouble dans le genre mais aussi dans les microcosmes sociaux par lesquels elle transitait. Dans Palais Royal !, la gentille princesse-orthophoniste d’une principauté imaginaire, trompée et humiliée par son entourage, se réinventait en Lady Di diabolique manipulant les foules et ses proches avec une réjouissante et amère méchanceté. Aline se contente de faire le récit un peu plat de la success story de Dion et de ses peines sentimentales avec un esprit de sérieux qui semble en décalage avec la nature parfois frivole des événements filmés, petits et grands drames étant traités de manière équivalente. Il y avait sans doute matière à un beau mélodrame, mais là encore le film passe à côté de l’émotion qu’il pourrait produire : le fil conducteur initial de l’épopée familiale est sacrifié à une histoire d’amour un peu niaise, elle-même amoindrie par une écriture qui se dissout progressivement en étant trop soucieuse de ne rater aucune anecdote « fameuse » (Céline Dion ne voulait pas de My Heart Will Go On), aucun clin d’œil aux fans. Au final, comme dans l’inégal 100% Cachemire qui se voulait une satire de l’univers de la mode, on a parfois le sentiment que le film ne sert à Lemercier que de prétexte pour déambuler dans de somptueux décors avec de superbes tenues, perruques et chaussures. Tout cela n’est pas antipathique, mais on en sort avec le sentiment curieux d’avoir passé deux heures dans le placard d’une ado très très riche et très très fan de Céline, pour assister en douce à un gênant numéro de cosplay.