« 14 kilomètres » est la distance qui sépare l’Afrique de l’Europe. La distance que des centaines d’Africains tentent régulièrement de franchir, avec les conséquences, médiatisées a minima, que l’on connaît. Gerardo Olivares s’empare de ce thème plutôt convenu pour livrer une histoire sensible mais pas misérabiliste, un road movie à travers le désert dont les images sont saisissantes de beauté. Une belle surprise.
Gerardo Olivares avait déjà montré, en 2007 avec son premier long-métrage, La Grande Finale, un sens aigu de l’observation de l’autre : l’autre, l’étranger, les autres peuples. Cette première œuvre plutôt réussie et bien maîtrisée proposait, avec un regard parfois quasi ethnographique, un tour du monde des différentes façons de suivre le Mondial de football. Dans 14 kilomètres, on retrouve ce même amour des peuples, cette même fine observation, déclinés sur un thème autrement moins festif, même s’il y est aussi un peu question de ballon rond.
L’histoire est centrée autour de trois personnages, mais ne s’attarde pas sur leur situation sociale, financière, ou encore familiale. D’eux, on ne voit que, pour l’un, Bouba, le talent de footballeur, propice à tous les rêves de gloire, pour l’autre, Violette, le risque d’un mariage forcé dont la perspective la fait pleurer sans relâche. Le troisième protagoniste se nomme Mukela : frère de Bouba, il représente la tentation du départ, l’optimisme, le désir de provoquer le destin. Au fur et à mesure de l’avancée du film, tous trois deviennent les symboles et donnent des visages à tous ces Africains tentant leur chance vers l’Europe : « Je veux vivre comme les Blancs dans les feuilletons télé », rêve Mukela, « en Europe, c’est le rêve, il y a de l’argent partout », assure Bouba, « mon rêve c’est de trouver un Blanc pour qu’il me fasse des enfants café au lait » explique l’amie de Violette.
Pour autant, Gerardo Olivares n’en fait pas des personnages de carton-pâte, interchangeables. Le scénario, parfois prévisible, n’est pour autant pas caricatural. Le réalisateur prend le temps de développer la personnalité des uns et des autres, et de faire de Bouba et de Violette les héros pas seulement d’une rude traversée, mais aussi d’une jolie histoire d’amour. Sensible, mais nullement misérabiliste, 14 kilomètres sait jouer de l’humour et de l’absurde de certaines situations, notamment lors des scènes de passage des frontières : où l’on fait la rencontre d’un patibulaire « gardien de barrière » en plein désert du Ténéré et où l’on désespère du sort de Bouba avec lequel les gardes frontières marocains et algériens se font des passes.
Dans cet interminable et âpre traversée qui conduit les personnages de Mopti au Mali, sur les rives du fleuve Niger, jusqu’au sud de l’Espagne, en passant par le désert du Ténéré et ses Touaregs ou encore Barghot, en plein désert algérien, c’est cette Afrique grandiose et tragique qui défile sous nos pieds, comme l’un des personnages principaux du film. La photographie du fleuve Niger, des dunes du désert et des distorsions de la vue et de l’ouïe qu’elles procurent, sont un ravissement des sens. 14 kilomètres, une heure et demie d’images de l’Afrique, si rares. Où il est donné au spectateur de s’intéresser d’une part au sort de ces damnés de l’immigration qui sont loin d’être uniquement fictifs, et d’autre part la richesse et la variété de l’Afrique. Dans cette optique d’éveil des consciences, la scène de la traversée maritime du Maroc à l’Espagne, tournée en caméra infrarouge de façon quasi documentaire, est non seulement éloquente mais esthétiquement très réussie.
Malgré la beauté du continent africain et en dépit des discours de ceux pour qui des millions ne leur feraient pas quitter cette terre, des centaines de petites silhouettes perdues dans le désert continueront la traversée, quoi qu’il leur en coûte. Ainsi que le dit la toute fin du film par la voix de la grand reporter et écrivain espagnole Rosa Montero : « Ils continueront à passer et ils continueront à mourir, car l’Histoire a démontré qu’aucun mur ne peut arrêter les rêves. »