L’histoire est édifiante et tout à fait vraie : en 2008, à Gloucester aux États-Unis, plusieurs adolescentes décident de tomber enceintes en même temps. Dans le premier long métrage mis en scène par Delphine et Muriel Coulin, deux sœurs dont les parcours communs (cinq courts) et individuels (écriture de romans pour Delphine, réalisation de documentaires pour Muriel) ont déjà fait forte impression, l’action est située à Lorient, mais l’intrigue reste la même. C’est que la portée de cet incroyable fait divers semble quasi-universelle, conférant à cette « épidémie » de grossesses une étrange aura, entre phénomène religieux et cinéma fantastique (comment ne pas penser au Village des damnés ?). Mais la réussite de 17 filles tient surtout au talent des deux réalisatrices pour ne jamais faire pencher la balance dans un sens comme dans l’autre : le ton, délibérément réaliste, n’enraye pas pour autant le mystère qui entoure l’improbable idéal féministe revendiqué par ces jeunes filles aussi sûres d’elles que totalement inconscientes. À l’inverse du Virgin Suicides de Sofia Coppola, qui étirait le romantisme macabre du suicide collectif des sœurs Lisbon jusqu’à la déréalisation de leurs corps frêles, fixés pour l’éternité dans une pâleur évanescente, 17 filles montre des adolescentes pleines de vie et de chair, mélange de niaiserie et de maturité, de sensualité et d’innocence.
Eberlués, complètement dépassés, les adultes (parents, corps enseignants) du film ne savent pas comment réagir face à une situation aussi incongrue. C’est que, retranchées en privé derrière un discours vaguement idéaliste, tendance néo-hippie, caractéristique du fantasme adolescent (quitter le foyer familial et son autorité, vivre en communauté avec ses amis), les jeunes filles font front commun pour ne pas expliquer leur « geste ». Ce silence têtu, accompagné de l’extrême arrogance de ces ventres ronds qui circulent dans les rues de la ville et la cour du lycée, s’accompagne d’un discret mépris pour les garçons que les futures filles-mères ont choisi pour les féconder. Delphine et Muriel Coulin mettent en scène, sans le souligner, le curieux discours politique sous-jacent à ces grossesses en série, ouvert à plusieurs interprétations : volonté de disposer de son propre corps sans entrave, d’inventer un nouveau schéma social entre progrès et conservatisme (la maternité vécue comme une expérience féminine collective aboutissant à l’émancipation et la disparition du couple) ? Ou folie adolescente poussée à son paroxysme ? Les questions abondent, posées avec délicatesse par les deux réalisatrices, qui ont la bonne idée de ne pas chercher à y répondre.
17 filles explore une autre voie, celle de la chronique d’années de jeunesse faites de complicité et de rivalité entre filles, de mensonges et de confessions, d’entraide et de manipulations, d’incertitudes et de provocations, mais une chronique enrayée par un événement extraordinaire et inexplicable, parti d’un accident (la grossesse non désirée d’une ado) qui, parce qu’il arrive à une fille au tempérament de meneuse, entraîne dans son sillage, tel le joueur de flûte de Hamelin, toute une bande qui attendait le feu vert d’un leader pour se sentir vivre. La force du film, c’est de parvenir à instiller un malaise permanent sans pour autant chercher à le provoquer : le calme et la sérénité avec lesquelles ces dix-sept filles vivent leur grossesse suffisent à donner des frissons. À la tête de cette surprenante fronde, la jeune Louise Grinberg (repérée dans Entre les murs) apporte à son personnage le trouble nécessaire pour déstabiliser toute une communauté. On n’est pas près d’oublier son regard bleu clair et sa moue de lolita qui, fausse ingénue, brandit son ventre rond comme une arme.