Premier film d’Omri Givon à 32 ans, 7 minutes au paradis est le voyage d’une femme à travers le deuil. Ce film israélien parle moins des attentats terroristes que d’une renaissance de l’amour et la culpabilité qu’elle implique. Située à Jérusalem, l’action n’en reste pas moins sans cesse teintée par le contexte de peur persistante qui règne sur les personnages, en particulier celui de Galia, notre héroïne.
« On dit que, lorsque les âmes ne sont pas prêtes, 7 minutes leurs sont accordées pour décider de revenir à la vie. » C’est cette phrase qui sert d’aura au film, elle est son point de départ, son moteur et son enrichissement conférant aux motifs de ses personnages une toute nouvelle épaisseur lors du twist final qui parachève notamment un portrait de femme en situation post-traumatique et qui donne un contre-pied à l’ensemble du récit. L’attentat dans un bus à Jérusalem met fin aux jours du compagnon de Galia elle-même blessée lors de l’explosion. Elle porte les brûlures sur son dos, ces marques physiques altèrent son corps, elles sont l’expression premières de son mal-être permanent, dans la magnifique scène où elle se gratte nerveusement avec une cuillère, le montage cut et l’éclairage très sombre sont au service de cette folie ascendante qui se joue dans une cuisine à l’abri d’une ambiance de discothèque au bout du couloir, elle n’est plus qu’une poupée qui se frotte sauvagement contre les murs pénétrant alors dans une lutte pour l’apaisement. Car 7 minutes au paradis travaille ses deux sujets comme on croise le fer dans un duel, c’est la double quête d’une femme : d’abord savoir ce qu’il s’est réellement passé lors de l’attentat (notamment : qui est le secouriste qui l’a évacué ?) et ensuite, dans un même élan, soigner son sentiment de culpabilité, faire son deuil. Cocteau l’écrivait : « La souffrance est-elle une règle ou un lyrisme ? » Impossible de situer un film à Jérusalem aujourd’hui sans aborder la question du conflit israélo-palestinien. On peut dessiner deux angles d’attaque : poser plus ou moins frontalement le problème du conflit, c’est-à-dire, en faire son sujet (Le Temps qu’il reste, d’Elia Suleiman). Ou placer ses personnages dans ce contexte contemporain, alors le fait même de raconter une histoire qui se situe en Israël inclut de façon nécessaire le traitement de la question du conflit mais de manière contextuelle (Zion et son frère, Eran Merav). Les attentats sont du quotidien, il est impossible de les occulter. La souffrance devient une règle, une règle de vie et c’est précisément cette souffrance qui s’allie à une peur permanente que le cinéaste dépeint à travers le portrait de cette femme. Reymonde Amsalem (Galia) pour qui toute la direction d’acteur semble se limiter au visage, là où la palette d’expressions se résume à une face sans corps, tente de composer avec peu et creuse une sensibilité artificielle. On peut y voir une vraie bonne idée, son corps étant gravement atteint et souffrant, cette femme trouve son seul accès à la communication et à l’expression avec son visage, ses yeux, ses dents, or l’absence totale d’expression corporelle des autres personnages traduit un gros manque dans la manière d’appréhender un corps au cinéma par le cinéaste. Servis par des dialogues d’une vacuité assez affligeante, ni propos ni forme, ces comédiens peu nombreux n’ont heureusement pas à user excessivement de la parole, une grande partie du film étant sans dialogue – ce qui confirme de quoi le film souffre (mettre en scène un corps dans un cadre).
Elle retrouve le bus en ruine et grimpe dedans. S’enclenche tout un processus de montage excentrique qui entremêle passé et présent jusque dans les raccords regards : on assiste à l’attentat en même temps qu’on assiste à sa contemplation hallucinée et traumatisée de la victime. Un plan, déterritorialisé, trouve dans son côté esthétisant (surplus de couleur et extrême ralenti) l’angoisse d’un cinéaste à montrer – il procède par métonymie pour l’explosion et sa grande maladresse plastique pour ce plan traduit cette incapacité à s’exprimer formellement : l’acmé de la séquence est ce plan donc, avec son excentricité douteuse, si l’on suit la mise en scène, autrement dit le point culminant de l’attentat est l’explosion elle-même et non ses conséquences. Omri Givon tient pourtant son film sur les purs effets de cette bombe, en tissant les tourments de Galia qui voit les spectres la hanter, les non miraculés viennent lui rappeler sa chance, elle refuse qu’on lui parle de miracle pourtant. Il faut voir ce dernier plan qui condense encore l’énigme de l’être élu et se joue du désir de spectateur à espérer une dernière fois un retournement – idée du désir de la formation du couple par le spectateur, là le film sombre sous quelques clichés effrayants avec ses romances naïves, généreuses et alléchantes donc amour de consommation – et la sidérante fatalité d’un destin auquel on semblait échapper depuis le départ avec notre héroïne, ramenée à se voir en robe de mariée dans un silence de mort.