Présenté en compétition officielle au festival Paris Cinéma 2009, ce premier long métrage israélien révèle d’incontestables et prometteuses qualités de mise en scène chez son jeune réalisateur. Mais écrasé par de prestigieux modèles et peinant à trouver un ton propre et à donner vie à ses personnages, il finit hélas par donner une nette impression de déjà-vu.
Dans un quartier populaire de Haïfa, deux adolescents turbulents, Meir, 17 ans, et Zion, 14 ans, sont élevés par leur mère. Leur relation, faite d’un mélange de rivalité et d’amour fraternel, subit un tournant après une bagarre où un jeune fils d’immigré éthiopien trouve la mort.
Ce scénario fait penser au Paranoid Park de Gus Van Sant (comment continuer à vivre avec le poids de la culpabilité ?), mais aussi et surtout à certains films des Dardenne ou de James Gray. Dans La Promesse des premiers et dans The Yards du second, des drames similaires obligeaient déjà de jeunes hommes à choisir entre la loyauté envers leur milieu – aimant, mais étouffant, violent – et la voie plus douloureuse de l’émancipation et de la rédemption.
La mise en scène de l’Israélien, si elle n’est pas sans mérites, souffre hélas de la comparaison : elle n’a ni la grâce aérienne de celle de Van Sant, ni la liberté et la rage de celle des frères belges, ni le lyrisme romantique de celle de Gray. Très cadrée, voire corsetée, elle joue essentiellement sur l’espace : Merav emprisonne ses personnages dans un univers urbain cloisonné, bétonné, grillagé. La sensation d’asphyxie est encore aggravée par la proximité des corps et par la chaleur : le film se déroule à la fin d’un été caniculaire qui accable les chairs et les âmes, et exacerbe les tensions. La mer, proche mais masquée derrière des empilements de tours et de ponts et par le ballet incessant des trains et des camions, constitue le seul refuge pour le jeune Zion quand la pression devient trop forte. Dans ce contexte, les personnages de Zion et son frère sont comme englués dans une fatalité sociale qui ne leur laisse pas beaucoup d’espace et d’air pour exister et évoluer.
Zion et son frère témoigne des peurs et de la mauvaise conscience israéliennes : comme dans le récent Jaffa, la tension est permanente et imprègne chaque plan, un prétexte futile suffit à causer le drame, la mort peut survenir n’importe où et n’importe quand : quand ils ne prônent pas un sympathique message humaniste (Les Citronniers, La Visite de la fanfare), les films israéliens sont toujours marqués par un sentiment d’imminence de la catastrophe.
Mais si Eran Merav a visiblement cherché à retranscrire l’atmosphère de son pays où les immigrés peinent à trouver leur place, et où la violence, endémique, s’insinue partout, il a surtout voulu donner à son récit une portée universelle. Il le confie dans le dossier de presse : « [Son film] ne se déroule pas dans un lieu précis et n’est pas écrit dans un langage cinématographique spécifique. Il pourrait se passer n’importe où dans le monde. » Et c’est bien là que le bât blesse : Zion et son frère souffre de son inscription dans un world cinema qui uniformise formes et récits dans l’espoir de s’adresser au plus grand nombre. Les personnages notamment sont bien trop stéréotypés pour faire naître l’empathie : on a déjà l’impression d’avoir vu vingt fois ce jeune gamin sensible, ce frère brutal et mal dans sa peau, cette mère encore belle et désirant séduire jouée par Ronit Elkabetz, ce beau-père fruste et macho.
Certaines scènes échappent à la pesanteur du dispositif : ainsi quand Merav capte, dans une boîte de nuit, un regard qui se fige quand à la musique se mêle le hurlement d’une sirène. Ces quelques moments flottants et troublants – couplés avec une réelle capacité à filmer les corps et un regard presque dardennien porté sur des personnages qui ne sont pas armés pour exprimer leur affection et leurs sentiments autrement que de manière physique, animale – peuvent permettre d’espérer le meilleur pour la suite de la carrière d’Eran Merav.
En attendant, sa volonté de ne pas l’inscrire dans « un langage cinématographique spécifique » fait jurer son premier film avec ceux de ses compatriotes Amos Gitaï, Avi Mograbi et Ari Folman, dont le cinéma, en prise directe avec la société dont ils enregistrent et auscultent les angoisses et les contradictions, reste remarquablement libre de ton et de propos dans un pays en état de guerre permanente, et n’hésite pas à bousculer les formes imposées et à mélanger les genres pour des résultats souvent remarquables. Zion et son frère, plus formaté, peut laisser craindre, avec les œuvres récentes de Keren Yedeya, d’Eran Kolirin et d’autres jeunes cinéastes plus ou moins doués apparus ces dernières années, une normalisation d’une des productions cinématographiques les plus stimulantes et essentielles qui soient aujourd’hui. Une tendance qu’infirmeront peut-être Tu n’aimeras point et Ajami, deux films remarqués cette année à Cannes et qui sortiront prochainement sur les écrans français.