Cinq personnes en mission humanitaire pour l’ONU en Bosnie, confrontés au manque de moyens et à l’absurdité de leur tâche dans un pays sortant officiellement de la guerre et qui, au fond, ne veut pas d’eux… On croirait lire le synopsis d’un film réalisé sur le terrain, sans doute par un cinéaste local (tel No Man’s Land de Danis Tanović), dans les années 1990 – 2000 quand l’Europe sentait encore l’éclaboussure de la honte des guerres ethniques qui ont ensanglanté ce qui fut jadis la Yougoslavie. Mais non : adapté d’un livre de souvenirs d’une ancienne dirigeante de MSF Espagne, A Perfect Day a bien été écrit, produit et réalisé par des Espagnols (et même tourné entièrement en Espagne) en 2015. C’est dire si Fernando León de Aranoa (Les Lundis au soleil, Amador), pour son premier film anglophone (avec un cast international, de surcroît), ne cherche pas vraiment à surfer sur un sujet brûlant d’actualité. En fait, il affecte même un air de ne pas y toucher, en ouvrant son film sur la mention « Quelque part dans les Balkans » porteuse d’un flou de pacotille, alors que plus loin les noms des lieux voire du pays seront prononcés de façon tout à fait explicite. C’est entendu, refaire le procès de la guerre de Bosnie ne l’intéresse pas vraiment. Mais alors, serait-il plus motivé par les tourments individuels et collectifs de notre équipe de bons Samaritains contrariés, attelés à une tâche a priori routinière mais ayant dérapé dans l’absurde, et mis face à la réalité d’un désarroi qui n’a que partiellement à voir avec le terrain ?
En repassant les standards
Difficile, en vérité, de cerner l’envie profonde qui animerait A Perfect Day, tant tout y relève d’une installation convenue, seulement dressée pour y créer une ambiance non seulement familière mais consensuelle, que ce soit dans la représentation de la guerre ou de celle des hommes. Les personnages principaux ressemblent à une collection d’archétypes fatigués, non par la guerre mais par leur usage trop fréquent : on retrouve le vétéran cynique et désabusé, la novice idéaliste mais pas longtemps, l’autre vétéran qui a pété les plombs, celui plus impliqué avec la population locale et qui risque donc plus gros, et même l’ex-amour qui revient semer le trouble. D’une situation à l’autre, l’absurde, l’ironie, l’humour plus léger voire l’horreur surgissent comme des points de repères déjà vus, dans d’autres films ou d’autres médias autour de ce sujet historique, qu’il s’agit seulement de replacer et d’amener avec le plus de doigté possible. Cela constitue une mécanique rondement menée, alimentée à point nommé par les caractères et les bons mots conférés aux personnages, mais une mécanique impersonnelle qui ne fait que dérouler des figures familières comme on égraine les standards d’un genre, qui jamais ne tente d’ouvrir le regard sur les choses ou de décentrer (lui et nous) de notre zone de confort, qui vise moins la conscience que la connivence, entendue et somme toute satisfaite.
On est tenté de soupçonner Aranoa d’avoir conscience du manque de saveur de son projet, eu égard aux quelques occasions où il tente d’assaisonner son film d’un petit air impertinent et rageur. On pense en particulier à ces moments où il fait retentir de la musique rock ou punk — éclats de petite révolte résonnant de façon un peu vaine, car la plupart de ces moments sont des plans de voyages en camion filmés d’un hélicoptère, démontrant plus la maîtrise du terrain par des professionnels bien équipés que l’énergie brute d’un rebelle. Ce type d’effet fait surtout ressentir comment Aranoa cherche à donner le change de ce mal sournois qui infecte son film (comme, du reste, ses précédents) : un académisme ronronnant, désirant se persuader d’être habité par une conscience du monde.