Dans une école privée pour bien nés de la côté Est, il s’en passe des vertes et des pas mûres. Jusqu’à la mort tragique de deux jeunes filles, filmée par hasard par un adolescent. Prenant acte des nouveaux moyens d’accès et de diffusion de l’image, Afterschool entend questionner la frontière réel/virtuel et le rapport de cet âge de la vie à la violence. Ceci en adoptant un ton qui se veut sans concession, mais à force d’intentions et de volonté de maîtrise, l’objet finit par être lisse et sans saveur.
La scène d’ouverture met en scène les enjeux qui traverseront le film, devenant même son cœur. Un écran dans une pièce plongée dans le noir : du rire, de la violence gratuite, un Saddam pendu haut et court et un peu de sexe pour finir. Il s’agit du menu visuel, que l’on devine ordinaire, de Robert qui termine le festin par une petite masturbation devant un porno teinté d’une sourde violence. L’image virtuelle comme figure médiatrice entre l’adolescent et le réel, l’ordinateur, et particulièrement l’écran, constituera le centre de gravité du film, tous les chemins ou presque y mèneront. Époque du virtuel même, puisqu’un peu plus tard le même jeune garçon actionne un robinet en approchant simplement le doigt d’un capteur. Comment dès lors appréhender le réel, en faire l’expérience, alors que l’on semble l’approcher et même agir sur lui par l’intermédiaire de multiples médias ? Ce serait la question de départ, ou à peu près. À cela s’ajoute qu’il s’agit d’adolescents, que l’on ne pense qu’à coucher, que de la drogue circule, que les rapports sont rudes, la langue crue.
Timide et pas tellement dans le coup, Robert s’inscrit à l’atelier vidéo, qui lui permet d’approcher une jeune fille, lui le puceau complexé. C’est aussi par ce biais, et par hasard, qu’il filme la mort de deux jumelles bien trop accro à la poudre blanche. Alors qu’il s’essaie au maniement de la caméra dans les couloirs, elles jaillissent soudain dans le champ, par une porte qui claque. Robert ne coupe pas la caméra. Après un temps, il entre dans le champ et avec calme il assiste dans l’agonie celle des deux qui n’avait pas encore trépassé. Elle pousse son dernier souffle adossée à lui. Commence alors un film dans le film, celui que la communauté éducative déboussolée commande à Robert pour honorer la mémoire des défuntes. De l’usage de l’image violente comme catharsis, pour guérir la violence. Sans que ce soit systématique, l’usage de plans fixes est récurrent, ces derniers s’enchaînent géométriquement. On use d’une imagerie froide, jouant sur l’aseptisation du lieu, et celle apparente des êtres. Différents statuts d’images sont aussi raccordés par le montage. Ces divers procédés, créant volontairement un effet de distanciation, interviennent – on pourrait dire qu’ils s’empilent –, afin, laissons la parole au cinéaste, que le spectateur « quitte la salle en se posant des questions sur notre société et sur ce jeune homme ».
Très jeune cinéaste, tout juste 24 ans, Antonio Campos se place là sur un terrain qui n’est pas sans rappeler Elephant de Gus Van Sant. L’unité de lieu du lycée, mêmes figures apparemment lisses peuplées d’un tourment dangereusement enfermé dans une caboche d’adolescent. D’un point de vue formel, les présupposés conceptuels de départ, même si le maître de Portland est loin d’être dépourvu en la matière, déplaceraient le curseur en direction de Michael Haneke. Toutefois, le spectateur, dans son rapport à la violence, n’est jamais placé dans la position perverse que lui adjuge volontiers le cinéaste autrichien, du moins pas aussi nettement. En fait, on ne retrouve ni l’étourdissante hypnose qui émane d’Elephant, ni la férocité ou le malaise, salutaire ou non, d’Haneke. Ce qui émerge, ce n’est pas du mépris, ce sont ces formes d’ennui et d’indifférence que l’on peut adopter face à un objet qui sonne un peu creux.