Avec American Translation, Jean-Marc Barr et Pascal Arnold s’engluent dans une indigeste histoire d’amour entre une jeune fille bien née et un jeune tueur en série paumé. Appuyée par une mise en scène plate qui alterne espace intérieur et espace extérieur dans une lourde symbolique et servie par des personnages qui ne parviennent pas à intéresser, la mécanique d’Eros et Thanatos tourne à vide.
Pour American Translation, Jean-Marc Barr et Pascal Arnold ont voulu poser la difficile problématique de la figure du serial killer. Sans développer un jugement, mais en racontant une histoire. Les co-réalisateurs ne s’emploient pas à l’exercice du film policier ou du thriller psychologique, mais au film d’amour. Ou comment deux jeunes gens que tout oppose tombent éperdument amoureux. Lui (Chris), orphelin, SDF, issu d’un nord de la France tout en chômage et en souvenirs brutaux, sillonne la région et les rues de Paris dans une vieille camionnette dont l’arrière est aménagé en chambre. Pour se faire du fric, il joue au poker. Il couche aussi avec des filles ou des garçons de passage. Elle (Aurore), est une riche franco-américaine qui s’ennuie et tente d’échapper au destin tout tracé que lui dessine son père, interprété par Jean-Marc Barr himself. Elle repère Chris au bar d’un grand hôtel parisien, ils se sautent dessus et ne se quitteront plus de tout le film.
En ouvrant le film sur un gros plan de Chris en forêt, qui vient visiblement d’assassiner une jeune femme, les réalisateurs tuent le suspens dans l’œuf. Certes, Aurore ne découvrira la personnalité de tueur de Chris que petit à petit, mais le spectateur est d’emblée exclu de cette découverte. Barr et Arnold se concentrent sur leur histoire charnelle, leur coup de foudre inexpliqué, sans que la relation entre les deux amants parvienne à nous entraîner.
Le problème du film n’est pas tant dans le choix du type du personnage. Un tueur en série, pourquoi pas ? Saisir son intimité, sa souffrance, l’origine de ses pulsions meurtrières aurait pu être tout à fait digne d’intérêt. Le problème réside entre l’écart immense entre les intentions des réalisateurs – évoquer tout à la fois, via cette figure de tueur, la violence contemporaine, la perte de repères, la mort des idéologies au profit d’un cynisme brandi en étendard – et le résultat à l’écran. Le traitement du personnage de Chris se construit à grand coups de clichés sur l’enfance malheureuse et la jouissance de tuer, doublé d’une arrogance permanente dans le jeu de Pierre Perrier, exclusivement construit sur le concept de provocation et mis en pratique par des regards de défi lancés à qui l’empêcherait de vivre comme il l’entend. Les scènes de « discussions psychologiques » qui ont vocation à expliquer la personnalité de Chris alternent avec du cul, du cul, du cul, sans aucun érotisme mais plutôt dans une esthétique clipesque froide. Si bien que le couple n’est ni émouvant ni touchant, ni même vraisemblable, mais qu’on les voit plutôt comme des petits morveux avachis dans l’appartement de Papa, entre pizzas livrées, jeux vidéo et accouplements répétés. À aucun moment les réalisateurs ne parviennent à toucher l’intimité de ce couple artificiel.
American Translation aurait pu être une sorte de Bonnie and Clyde des temps modernes, certes versant glauque, voire gluant, désillusionné et débarrassé du mythe glamour au profit d’une pesanteur sociale. Il ne parvient qu’à renvoyer une impression de ridicule (la façon dont Chris appelle Aurore « Bébé », ses crises de larmes et ses appels au secours après être passé à l’acte, etc…), servie par une image assez laide jusque dans les matières des vêtements d’Aurore, synthétique cheap, léopard kitsch et mélange de couleurs criardes. Un Eros et Thanatos sans intérêt, noyé par les roulages de pelles et plombé par l’issue finale. Là où Lovers et Too Much Flesh déployaient un charme étrange et brut, American Translation se perd.