Une mère et son fils quittent la Palestine pour les États-Unis en quête d’une vie meilleure. Cela n’a évidemment rien de simple et, dans un pays en guerre contre le terrorisme et Saddam Hussein, l’accueil n’est pas des plus chaleureux. Si Amerrika a obtenu le prix FIPRESCI à Cannes où il était projeté à la Quinzaine des réalisateurs, il est toutefois difficile de parler de la révélation d’une nouvelle perle du cinéma indie US. Ceci dit, Cherien Dabis trouve un ton qui semble le bon pour ce sujet casse-gueule et compose un film aussi anecdotique que fréquentable et attachant.
Amerrika est pour Cherien Dabis une affaire tout à fait personnelle. Sa mère jordanienne et son père palestinien ont immigré de Jordanie vers les États-Unis peu de temps avant sa naissance, point de départ d’une situation où elle ne s’est sentie nulle part chez elle : « ni assez américaine pour les Américains, ni assez arabe pour les Arabes. » Si la situation d’apatride n’empêche pas d’avoir une identité, elle constitue sans doute un mode de construction bien particulier. Le film est donc nourri de cette expérience qui constitue un fond documentaire pour certaines situations, notamment des jeux de langues entre l’arabe et l’anglo-américain : « J’ai fini par dire à tout le monde, avec autodérision, que je parlais Arabish. »
Pour mieux inscrire le gouffre entre le pôle émetteur et la nation à la bannière étoilée, la réalisatrice démarre le film dans les territoires occupés palestiniens. On y découvre le quotidien maussade de Mouna (Nisreen Faour) et Fadi (Melkar Muallem), arabes de la minorité chrétienne. Tout est ici irradié d’un soleil franc et aveuglant, sur une terre variant du beige à l’ocre. À un check-point, un soldat de Tsahal tatillon veut le numéro d’une maison qui n’en a pas, le jeune garçon rétorque sur un air narquois : « vous voulez passer nous voir ? » La tension monte, l’ironie n’a pas cours ici. Et en étant privé de ce viatique, comment supporter l’éprouvante situation ? Avant cela, Mouna et Fadi avaient reçu un précieux sésame : la possibilité de partir pour les États-Unis. Une vieille demande oubliée, mais plus qu’une arrivée chez sa sœur (inévitable Hiam Abbass, évidemment très classe) installée depuis quinze ans là-bas, c’est un départ qui s’impose.
Sur le sol américain, pour ne rien arranger dans la grisaille d’une petite ville de l’Illinois, sans que le cela ne soit un problème pour l’équilibre de l’ensemble, trois fictions se jouent d’une manière presque autonome, tout en se recoupant. Notamment celle d’une mère courage qui vit un déclassement socio-professionnel (d’employé de banque en Palestine, elle échoue dans un fast-food), dissimulé dans un mélange de honte, de pudeur et de fierté. Ce récit cohabite donc avec un teen movie basé sur les déboires de Fadi aux prises avec des blancs-becs bas du front. S’ajoute à cela la chronique de cette famille installée de longue date, dont les attributs d’une intégration parfaite s’effritent peu à peu dans une ère du soupçon et de défiance faisant de tout arabe un terroriste potentiel, au moins un présumé coupable. Le mari médecin voit ses clients se raréfier…
Tout ça pourrait faire beaucoup, de poncifs notamment. Mais Cherien Dabis réussit une sorte de tour de passe-passe en naviguant entre comédie, drame et mélo. Un peu comme du Ken Loach à la sauce Sundance; une recette improbable, mais assez digeste. Basé sur une image crue, le tout est rythmé par un filmage et un montage vifs, desquels émerge une forme de vérisme. Cela tient aussi à l’abattage des comédiens, avant tout celui de Nisreen Faour, dont les formes généreuses sont aussi les contours de sa truculente personne. Les situations les plus convenues sont plutôt bien traitées, comme la scène tendue à la douane américaine qui fonctionne en un évident doublon avec celle du check-point citée ci-dessus. Mais on apprécie davantage ce qui se joue dans la sphère intime de cette famille ; un extérieur devenu menaçant, l’évolution des liens et la définition de nouvelles frontières entre les individus. Un peu comme si les membres de cette famille étaient gagnés à nouveau, pourtant loin de la Palestine, par une impression, non sans raison, d’un état de siège. Inévitable tentation d’un repli, auquel la cinéaste répond par un final aussi savoureux que la cuisine orientale.