Du 29 avril au 11 mai 2014 a lieu la 9e édition du Panorama des cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient, à l’Écran de Saint Denis où il est né, et dans six autres salles, en Seine-Saint-Denis et à Paris. À travers une quarantaine de films, très souvent accompagnés par leurs réalisateurs, la programmation propose un tour d’horizon riche et délectable de la création cinématographique contemporaine du Maroc, d’Algérie, de Tunisie, de Palestine, du Liban, d’Égypte, de Syrie, et de leurs diasporas. Quelques coups de cœur.
L’Armée du salut
L’Armée du salut, remarqué en festivals (Angers, Venise, Tanger) et sortant le 7 mai prochain, est le premier film de l’écrivain Abdellah Taïa, une libre adaptation de son roman homonyme datant de 2006. Comme ailleurs dans son œuvre, il dépeint un certain Maroc et met en scène l’homosexualité, sans jamais faire de cette dernière le sujet du film, sans la montrer avec ostentation. Abdellah est adolescent, il vit dans un quartier pauvre de Casablanca avec ses parents et ses huit frères et sœurs. Le film se focalise sur lui, ses silences, son regard opaque, sa façon de se mouvoir, de traverser le quotidien. Le rythme est lent, on a le temps d’être attentifs aux personnages et de nous imprégner de l’atmosphère sensuelle, langoureuse, dans laquelle ils baignent. C’est avec pudeur, retenue, et par le détour, que l’auteur rend sensible la violence ou la crudité de certaines situations. Une terrible dispute nocturne entre les parents demeure hors champs ; la passion d’Abdellah pour son frère aîné est essentiellement donnée de biais, par des gestes discrets, des regards ; de ses rendez vous charnels avec des hommes on ne nous montre que les prémisses. L’intensité des sentiments, des émotions, du désir, est palpable mais elle reste en sourdine, et c’est toute la subtilité du film de se maintenir sur cette corde. Après l’immersion marocaine, nous partons pour Genève où Abdellah émigre pour poursuivre des études. C’est là encore tout en finesse qu’est mise en scène la solitude et la fragilité de l’immigré, qu’Abdellah Taia nous fait pressentir les montagnes que son personnage devra gravir, notamment dans une dernière scène, un dernier plan, remarquables.

Femmes hors-la-loi
Le documentaire Femmes hors-la-loi est un portrait de Hind, jeune femme que Mohamed el-Aboudi, cinéaste marocain vivant en Finlande, a suivie pendant deux ans et demi. La vie de Hind est un tel condensé d’horreurs qu’on pourrait avoir du mal à y croire. Violée à 14 ans, elle a été chassée par sa famille qui a gardé ses papiers d’identité et refuse de les lui rendre. Elle ne peut ni travailler légalement ni louer un logement à son nom. Elle survit en dansant. Elle a eu deux enfants, l’un a été donné par le père à un inconnu, l’autre a été élevé par quelqu’un d’autre car Hind ne pouvait, et ne peut toujours pas, l’assumer financièrement. La jeune femme se prostitue parfois, connaît des séjours en prison. Elle avait rencontré un homme bon avec qui elle voulait se marier, mais au cours du film il est emprisonné pour vingt ans. Hind irradie le film. Son histoire est en soi bouleversante. Elle la raconte beaucoup, face caméra ou à d’autres personnages, elle est très expressive, elle pleure, dit sa colère, ses émotions. Nous sentons son besoin de dire, de porter à la lumière une souffrance dont personne ne se soucie. On peut être gênés par certains dialogues qui semblent un peu pensés en fonction de la présence de la caméra, qui ont une valeur informative apparaissant peu naturelle. Les personnes, sans doute, jouent avec cet outil qui les filme. Il est d’ailleurs spécifié, après la scène terrible où Hind retrouve sa famille, que cette dernière a changé d’attitude une fois le cinéaste parti. Malgré tout, dans l’ensemble, l’immersion dans un quotidien, au plus prêt de Hind, fonctionne. Nous restons accrochés à elle, ébahis par l’horreur de ce qu’elle traverse, tantôt en s’effondrant, tantôt en trouvant la force nécessaire pour continuer à sourire et à croire encore en un avenir supportable. Le peu qu’elle demande de la vie (un toit, un mari, et de quoi nourrir ses enfants) semble inaccessible, et dans son désespoir sans fond elle est très émouvante.

Les Yeux secs
Dans un tout autre registre, la marge, la souillure, le bannissement, la souffrance, sont aussi au cœur des Yeux secs (2004), très belle première fiction de la jeune Marocaine Narjiss Nejjar, un autre portrait de femme. Après 25 ans de prison, une vieille femme, se faisant accompagner par un jeune homme, qu’elle fait passer pour son fils, Fadh, retourne dans son village perdu dans les montagnes berbères. Là ne vivent que des femmes, des prostituées. La cheftaine, Hala, est la fille de la vieille qui revient. Toute vêtue de noir, les yeux cernés de khôl et le regard sévère, elle dirige d’une main de fer la petite communauté, lui permet de perdurer, immuable, dans ses rites, des travaux champêtres aux cérémonies pendant lesquelles elles reçoivent les hommes. Hala et ses comparses font totale allégeance à leur Destin, leur Mektoub. Elles ont été souillées, elles doivent vivre cachées et subir leur sort. Quand naissent des enfants, elles les abandonnent au village pour qu’ils échappent à leur malédiction. Hala est dans une telle souffrance qu’elle est incapable d’envisager une ouverture possible vers une vie meilleure, celle que lui propose Fadh, qui tombe éperdument amoureux d’elle, celle que sa mère l’invite à inventer, en apprenant le métier de tisseuse par exemple. La puissance du film réside là, dans la dureté de ce personnage d’Hala, complètement muré dans sa douleur et qui en est magnifique. Siham Assif, qui l’interprète, est remarquable. Les mots sont rares. Les personnages, que nous avons le temps de contempler, se donnent par leurs silences, leurs gestes. C’est dans un décor majestueux qu’ont lieu ces drames humains. Les plans larges et qui durent, leur élégance, l’attention portée à la lumière, aux couleurs, aux sons, rendent sensible la grandeur du paysage, qui est aussi ouvert que le village est fermé sur lui-même, que toute émotion est enfouie au plus profond de Hala et que son cœur est sec.

Les Jours d’avant
Du côté algérien, nous avions déjà dit ici le bien que l’on pensait de Chantier A, magnifique documentaire de Tarek Sami, Karim Loualiche et Lucie Dèche encore peu présenté.
Les Jours d’avant, de Karim Moussaoui, connaît quant à lui une très belle carrière en festivals. Ce film d’une quarantaine de minutes se passe dans une banlieue d’Alger, Sidi Moussa, pendant les années noires, période très peu représentée au cinéma, peu abordée en général. Scindé en deux parties, il raconte la même histoire, perçue depuis le point de vue de Djaber puis depuis celui de Yasmine, deux jeunes gens traversant comme ils peuvent les heures sombres de la guerre civile, dont les chemins se croisent furtivement, subtilement, tragiquement. Mehdi Ramdani (acteur notamment dans Demain Alger, d’Amin Sidi Boumediene, également programmé au Panorama cette année) et Souhila Mallem les interprètent magnifiquement. Leurs visages sont des masques impassibles rendant palpable la désillusion de leur génération sans perspective, prise en étau entre la lourdeur des traditions, le patriarcat, et les assassinats, la peur. Ces visages sont aussi vecteurs d’une fragilité qui les rend émouvants, et d’une sacralité qui donne l’impression que, dans ce présent mortifère, leur regard est déjà tourné vers un au-delà. Formellement, le film est remarquablement maîtrisé – sens du cadre, beau traitement de la lumière, montage et gestion des décors intelligents, pertinente utilisation de la musique sacrée de Haendel. Une grande idée de mise en scène est le choix du climat météorologique dans lequel évolue l’histoire. Il fait soleil, mais il a plu, il y a de la boue partout. On oscille entre le sinistre et l’espoir, entre la légèreté à laquelle tente d’accéder la jeunesse et la lourdeur de la réalité qui la rattrape.

Plus modeste, plus confidentiel, on notera le documentaire À quoi rêvent les Fennecs, de Sarah Tikanouine, que nous avions déjà évoqué ici. Une belle et riche rencontre avec les jeunes filles membres de l’équipe nationale féminine de football algérienne.
Round Trip
Round trip, première fiction de Meyar al-Roumi, raconte magnifiquement une belle histoire d’amour illégitime en pays musulman. Walid et Souhaire, usés de se cacher à Damas, se mettent en route pour Téhéran, en train, le temps de quelques jours, pour pouvoir être un peu plus librement ensemble. Mais entre les contraintes réelles et les peurs intérieures, l’autocensure, rien n’est simple pour ce jeune couple amoureux. Tout est beau et subtil dans ce film. La complexité du monde intérieur des protagonistes, les variations de leurs émotions, sont finement suggérés et laissés à la libre interprétation du spectateur. Pour ce faire, peu de dialogues, une attention soutenue aux visages dans leur infinie richesse, aux moindres gestes, à la distance laissée entre les corps, aux silences. Une belle sensualité émane de ce couple émouvant, excellemment interprété par Alexandra Kahwagi et Ammar Haj Ahmad. On s’embarque avec eux totalement, charmés par leur amour tragique, par le rythme du train qui les porte, la beauté des plans, par toute cette élégance. Il n’est pas si fréquent de voir s’intriquer si intelligemment romantisme et portrait de société.
Parmi les films récemment sortis en salles et que le Panorama reprogramme, notons Omar, de Hany Abu-Assad (Palestine), C’est eux les chiens, de Hicham Lasri (Maroc), My Sweet Pepper Land, de Hiner Saleem (Kurdistan) et Noor, film pakistanais de Çagla Zencirci et Guillaume Giovanetti sorti le 23 avril.

May in the Summer
May in the Summer est le second long métrage de la Jordanienne Cherien Dabis, auteur d’Amerrika (2009). Présenté en avant première au Panorama, il sortira le 7 mai prochain. Le film raconte le retour temporaire au pays natal, Annaba, de May (interprétée par la réalisatrice), brillante romancière vivant à New York. Récit du décalage entre les cultures, il est aussi un portrait de femme aux prises avec l’effritement de ses certitudes. Peu originale et un peu trop séduisante, cette histoire n’en est pas moins élégante, joliment interprétée (notamment par Hiam Abbass dans le rôle de la mère de May), sympathique.
Manifestations
Comme chaque année, des tables rondes sont proposées. L’une, en partenariat avec la SRF et le collectif H/F Île-de-France, aura pour thème la situation de l’égalité homme-femme dans les métiers audiovisuels et du cinéma , l’autre, réunissant des universitaires, la circulation du film dans les pays du Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Traditionnels également, les brunchs littéraires à la librairie Folies d’Encre en face du cinéma Écran (l’un autour de Virgules en trombe de la journaliste et romancière algérienne Sarah Haidar, l’autre autour de Lettres de Syrie, de Joumana Maarouf), et les concerts sur le parvis de la Basilique. Au-delà des films, nombreuses sont les occasions de partage, d’échanges, de réflexions, autour des pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Pour tous les détails de la manifestation, se reporter ici sur le site du Panorama