2008 aura donc été l’année d’un certain renouveau pour les frères Pang : après un remake tiédasse de The Eye, voici venir le remake de leur premier film, et grand succès, Bangkok Dangerous, signé par les réalisateurs eux-mêmes. Heureusement, là où le film avec Jessica Alba n’était rien de plus qu’un copier-coller sans âme du film original, les frères Pang tentent de renouveler leur Bangkok Dangerous. Nanti d’un budget autrement conséquent (40 millions de dollars tout de même), les réalisateurs se permettent de laisser libre court à leur admiration pour John Woo. Résultat : un film bâtard, plombé par le jeu… cagesque de Nicolas Cage, mais qui réserve quelques bonnes surprises.
M. Vincent est un tueur à gages, de cette espèce mystérieuse et hautement romanesque dont on ne sait d’où ils viennent et où ils vont. Une sorte de cow-boy, en somme, à la Harmonica dans Il était une fois dans l’Ouest, mais dans le monde actuel. Notre exécuteur est à Bangkok, pour exécuter quatre contrats. Pour qui? Sans importance. Pourquoi? Sans importance non plus. Mais hélas, le froid et rude M. Vincent ressent la solitude comme tout un chacun. Lorsqu’il rencontre une petite frappe dont il décide de faire son aide pour la durée de son contrat, il se décide rapidement à le prendre sous son aile. Cela ne s’arrange pas quand il tombe amoureux comme un collégien d’une jolie pharmacienne sourde et muette. Mais lorsqu’il se rend compte que son quatrième contrat est un politicien populaire, aimé et bon, et qu’en plus les mafieux qui l’emploient se piquent de se débarrasser de lui et de son élève-ami-alter ego, ça ne va plus du tout, et M. Vincent va leur montrer de quel bois il se chauffe.
Remakes, remakes, remakes… En ces temps de pauvreté créative hollywoodienne, il est prudent de faire preuve de circonspection à l’égard des copies produites par l’usine à rêve, à l’usage d’un public US allergique, semble t-il, aux sous-titres et aux acteurs étrangers. Cette fois, ce sont les auteurs eux-mêmes qui s’y collent, en remplaçant le Thaïlandais Pawalit Mongkolpisit par Nicolas Cage, prince de la mimique ahurie qui, en l’occurrence, fait honneur à sa réputation. Pour le coup, l’essai n’est pas si mauvais. Les frères Pang, qui avaient créé la surprise en 1999 avec l’original de Bangkok Dangerous, semblent vouloir tirer pleinement parti d’un budget plus lourd, et d’une équipe plus chevronnée, pour souligner à loisir leur amour pour le John Woo des Syndicats du crime et de The Killer. Car la référence est évidente : là où Woo orchestrait un face-à-face entre Chow Yun-Fat et son ennemi Danny Lee sous les yeux, pour ainsi dire, de l’aveugle Sally Yeh, les Pang filment Cage en train d’abattre deux malfrats dans le dos de la sourde Charlie Yeung; là où Woo introduisait The Killer par un contrat exécuté au milieu d’une compétition navale, les Pang filment Cage rattrapant de justesse une cible sur un marché flottant…
Si le parti pris par les frères Pang de se focaliser avant tout sur les possibilités de mise en scène offertes par ce remake est heureux, permettant de renouveler correctement le thème original, le reste du film pêche tout de même par une trop grande lourdeur explicative. Cage tire une balle dans la tête d’une cible? «C’est ça mon métier.» Cage refuse d’abattre son aide un peu trop curieux? C’est, nous dit-il, parce qu’il voit en lui, un peu, son image. Le tueur hésite avant d’assassiner le Kennedy local (la référence avec l’assassinat de Dallas est d’ailleurs confondante de mimétisme…)? On repasse le dialogue du jeune aide, expliquant que c’est un type bien, et Cage de balader son viseur sur les visages extatiques de la foule… On ne va tout de même pas assassiner un brave type comme ça, n’est-ce pas?
Tout le film est ainsi pesamment agrémenté d’explications très premier degré qui enlèvent toute légèreté au récit – le pire allant à la peinture de la solitude de Cage. Car M. Vincent se sent seul, M. Vincent voudrait avoir des amis, M. Vincent voudrait trouver une petite amie. Et on sent la volonté de réinvoquer la solitude éminemment tragique des personnages de Chow Yun-Fat, Danny Lee, Leslie Cheung ou Ti Lung dans les films de Woo. Ces personnages, dans l’univers du réalisateur, représente à la fois des parias et des samouraïs, rônins certes, mais samouraïs tout de même; des garants d’un honneur combattant dépassé par la modernité et le cynisme, et tous sont voués à la mort – ce dont ils sont pleinement conscients. Cage, quant à lui, ne parvient jamais réellement à évoquer les émotions de son personnage, et le caractère lourdement didactique de la narration achève d’alourdir le propos, alors que le mystère et le silence conservé autour du personnage lui aurait, peut-être, conféré une infime parcelle de l’aura du Killer de Chow Yun-Fat.
Moins désagréablement mimétique que le produit lambda de l’usine à remakes d’Hollywood, Bangkok Dangerous n’a vraiment que ce seul mérite : celui d’avoir voulu garder une parcelle de personnalité, de style, dans une grosse machine filmée made in Hollywood. Mais ni l’écriture du scénario, ni le jeu de Nicolas Cage, ni une tendance inepte à vouloir gommer toute ombre dans ses personnages ne rendent justice à cet effort. Si Bangkok Dangerous est donc moins catastrophique que prévu, ce n’est cependant pas une raison pour se remettre à croire, après la débâcle des Messagers, à l’avenir des frères Pang dans le cinéma US.