En 2002, les frères Danny et Oxide Pang enfonçaient avec The Eye, honnête représentant de la nouvelle vague de l’horreur asiatique, le clou après leur première réalisation, Bangkok Dangerous : ils étaient indéniablement de jeunes réalisateurs à suivre. Problème, cependant : ce film produit à Hong Kong et en Thaïlande fourmillait d’acteurs, ben… asiatiques. Avec la langue à l’avenant. Évidemment, le public américain ne pouvant pas suivre, le pauvre, un remake fut mis en chantier, par les réalisateurs français d’Ils. Résultat : non seulement The Eye est vidé de toute forme de talent de mise en scène, mais en plus le film force sincèrement à douter des promesses entrevues dans le premier film des petits frenchies. Remakes, je vous hais !
Sydney Wells est une mignonne jeune femme qui aurait certainement pu jouer le rôle de Nancy Callahan dans Sin City si elle n’était pas aveugle. Hélas, frappée de cécité, la jeune femme se contente d’être outrageusement mignonne, de jouer du violon en virtuose et d’habiter dans un flat de 180m². Le jour où elle tente et réussit une transplantation de cornée qui lui redonne la vue, le monde de Sydney change, mais pas pour le meilleur. Elle se met en effet à voir des gens qui sont morts. Ayant vu Sixième sens, elle pige rapidement le truc mais son entourage – qui ne va pas au cinéma – refuse de la croire. La jeune femme doit alors prouver ses dires en retrouvant l’ancienne propriétaire des yeux qu’on lui a greffés, qui était elle aussi affligée de la même malédiction.
À voir ce remake de The Eye, on se dit que voilà un bel exemple de reconversion : faire de Sydney Wells une violoniste a probablement dû donner l’occasion à Jessica Alba de s’essayer à l’instrument, et d’enregistrer les multiples occurrences de violon stressant qui parsèment le film. Une ombre derrière un rideau ? Un coup de violon ! Une forme indistincte mais passablement angoissante ? Un coup de violon ! Un type qui lévite avec le visage réduit en pulpe dans l’ascenseur derrière la belle ? Trois cordes de violon pétées par l’utilisation abusive ! Une voiture passe devant l’héroïne ? ENCORE UN COUP DE VIOLON ! C’est tout juste si les cordes ne sont pas là à chaque mouvement des protagonistes, et on le regrette bien : cela nous eût donné la possibilité de lyncher les responsables de ce naufrage, ou à défaut de nous pendre pour mettre fin à nos souffrances.
Car on souffre beaucoup dans The Eye. On souffre évidemment de voir le script passablement mystique des frères Pang réduit à sa plus simple et sa plus obtuse illustration bassement horrifique. Mais on souffre surtout parce que rien n’est là pour empêcher la catastrophe. Alba joue avec la conviction d’une huître morte, et même si l’on peut se passer de la comparer à la composition de la plutôt talentueuse Angelica Lee dans l’original, son rôle d’aveugle vaut bien celle que l’on aurait pu attendre de Gilbert Montagné jouant un oculiste. La mise en scène de David Moreau et Xavier Palud, pourtant très prometteuse dans Ils, se limite au strict minimum du genre, occupés que les malheureux sont à brandir force panneaux marqués « Ayez peur !» à leurs spectateurs. Mais que diable allèrent-ils faire dans cette galère ? Et surtout pourquoi a‑t-il fallu qu’ils prostituent leurs évidentes culture et sensibilité fantastiques, qu’ils avaient si bien exprimées dans leur premier film, aux sirènes hollywoodiennes ?
Parce que si les remakes de The Thing par Carpenter, de La Mouche noire par Cronenberg, ou de Fingers par Jacques Audiard dans De battre mon cœur s’est arrêté sont plus que de simples redites à but mercantile, il n’est certainement pas question de considérer de la même façon les remakes à la chaîne produits par l’usine à rêve ces dernières années. Pulse, The Ring, Dark Water… Aucun de ces films ne justifie son caractère de remake sinon par un nivellement honteux de toutes les qualités artistiques des originaux au profit d’une uniformisation de goût destinés au seul public américain, passant généralement par la destruction de tout ce qui faisait les qualités des œuvres originales. Ni meilleure ni pire (ce serait difficile) que ses consœurs, cette nouvelle production exclusivement mercantile ne provoque rien sinon le désir de se repasser l’original une trentième fois – ce qui sera largement une moins grande perte de temps que de contempler les gesticulations inutiles et surjouées de miss Alba.