Patrick Alessandrin, ancien assistant de Luc Besson, explore un terrain explosif. Après l’errance masculine de 15 août (2001) et la loufoquerie passable de Mauvais esprit (2003), il s’essaie au film d’action avec Banlieue 13 Ultimatum, suite de Banlieue 13 (Pierre Morel, 2004). Une différence entre ces deux produits écrits et produits par Luc Besson : le premier volet se montrait ouvertement parodique, alors que le second, encore plus clipesque, prend le risque de se prendre parfois au sérieux…
On prend les mêmes et on recommence, pour une nouvelle fiction d’anticipation au pur rythme MTV ! Damien Tomaso (Cyril Rafaelli), flic aux méthodes peu orthodoxes, roi de l’infiltration, maître de la voltige et du combat à mains nues, retrouve Leïto (David Belle), banlieusard agile et musclé, pour sauver la banlieue 13 d’une destruction totale. Cette cité, la plus sensible des ghettos séparés de Paris par un mur d’enceinte, est à présent organisée autour de cinq clans culturo-ethniques : ceux d’Ali‑K (quartier arabe), de Tao (quartier chinois), de Karl (quartier skinhead), de Little Montana (quartier gitan) et de Molko (quartier black). La DISS, service secret ne référant qu’au président de la République (Philippe Torreton), parvient à semer le trouble dans la cité et à la précipiter dans la guérilla urbaine. Walter Gassman, patron de la DISS, entend faire rayer de la carte ce royaume-bidonville au profit d’un projet immobilier pour classes moyennes. Avec l’aide finale des chefs de clans, Damien et Leïto mettront leur force, leur agilité et leur témérité à l’épreuve pour sauver leur chère banlieue de cette fin annoncée et ouvrir les yeux de leur gentil président.
Banlieue 13 Ultimatum est un film d’action et ne prétend pas être autre chose du point de vue esthétique et narratif. Passons donc brièvement sur ses lourdeurs, identiques à celles du premier volet. L’accompagnement musical sous-tend la quasi-totalité du film, lui donnant l’aspect d’un long clip de rap de qualité hétérogène. Lorsqu’une scène semble (enfin) permettre un temps de respiration, propice à un échange dialogué, un personnage enclenche systématique une source sonore (chaîne hi-fi ou lecteur mp3) afin d’éviter tout risque de silence ambiant. Pourquoi un tel matraquage musical ? L’image n’est-elle pas déjà assez chargée ? Les plans ne sont-il pas déjà assez mouvementés, vifs et brefs ? Les actions ne sont-elles pas déjà assez rapides et spectaculaires ? Il est vrai que la teneur des passages dialogués explique leur rareté : « Je préfère être un roi dans ce petit royaume qu’un trou du cul dans leur empire » (Molko), « Quand on nique une caillera, on a une médaille » (agent de la DISS), « C’est pas les lois qui sont mauvaises, c’est les gens qui les appliquent » (le gentil Damien), « La vermine, pour s’en débarrasser il faut l’exterminer » (le méchant Walter Gassman)…
Cataloguer davantage les défauts de ce film reviendrait peut-être à lister les codes d’un genre de pur divertissement, auquel on peut être hermétique, mais qui possède cependant sa place dans l’industrie cinématographique. On reconnaîtra d’ailleurs quelques belles trouvailles de scénario, enrichissant les déclinaisons du film d’action, comme cette scène où Damien combat seul plusieurs porte-flingues avec pour seule arme un original de Van Gogh, qu’il doit protéger de toute égratignure ! La virtuosité sportive de Cyril Rafaelli et David Belle, défiant les lois de l’apesanteur dans des cascades improbables, constitue la clef du pouvoir de fascination du film. Comme le précédent opus, Banlieue 13 Ultimatum développe un référencement ludique, voire parodique, au cinéma américain. Les décors misérabilistes d’une cité-bidonville labyrinthique et l’aspect des divers membres de gangs rappellent ouvertement New York 1997 et Los Angeles 2013 (John Carpenter, 1981 et 1996).
Mais cette séquelle répétitive, apparemment sans autre prétention que d’en mettre une fois de plus plein la vue et les oreilles, se risque à multiplier les références au climat politique et social français. Une prostituée s’entend ainsi dire qu’il « faut travailler plus pour gagner plus ». Voulant l’inciter à une solution radicale pour mettre un terme à la violence des banlieues, Gassman rappelle au président qu’il a « été élu au nom d’un pouvoir d’achat qui ne fait que baisser et une des causes premières, c’est cette économie parallèle » (les trafics en banlieue). Si les multiples clins d’œil à une réalité sociopolitique contemporaine font réagir la salle, ils ne relèvent pas uniquement de la private joke. Ils modifient les enjeux du spectacle fictionnel, en introduisant un lien avec le présent réel. Dans sa tentative timide de tenir un discours de fond sur la marginalité économique et sociale des banlieues françaises, le film se ridiculise dans une naïveté navrante : il multiplie clichés et lapalissades ! Ainsi, pour les chefs de gangs (gros durs caricaturaux), la banlieue c’est comme « une famille qui nous protège, nous unit, nous rassemble ». La cité doit être « un vrai quartier, une vraie banlieue, avec des espaces verts et du travail ». Cela valait le coup d’être dit, tant c’est original et novateur… Le jeu des comédiens manque de la subtilité nécessaire pour exprimer l’ironie grinçante et le pessimisme amer qu’une telle scène aurait dû suggérer pour devenir intéressante.
Avec Banlieue 13 Ultimatum, on ne sait pas vraiment sur quel pied rapper. Pure marrade à l’effet cathartique, à destination privilégiée des jeunes des cités (et surtout des garçons), risquant de les laisser se complaire dans un esprit communautaire paralysant ? Ou réelle ambition de discours, rappelant l’échec des plans-banlieues successifs et l’existence d’un vivier de talents cachés dans les cités ?… Pour sûr, le premier objectif de Besson et Alessandrin doit résider dans le remplissage méthodique du catalogue EuropaCorp : « films‑d’action-français-avec-autant-de-courses-poursuites-que-dans-les-films-américains »… Un de plus, c’est gagné !