Après Dans la peau de Jacques Chirac et Ségo et Sarko sont dans un bateau, le duo Karl Zéro et Michel Royer s’attaque au tristement célèbre George W. Bush, dans un film à la forme davantage maîtrisée que les précédents. Le dispositif – usant des mêmes mécanismes de propagande que les communicants politiques – pose toujours problème par sa superficialité et son caractère manipulateur qui empêche le spectateur d’être libre de son jugement. Si cette fiction «réaliste» n’arrive pas à délivrer du sens, elle joue toutefois son rôle de pur divertissement.
Pour leur troisième collaboration, Karl Zéro et Michel Royer passent à la vitesse supérieure en transformant George W. Bush en personnage documentaire. On peut reprocher aux deux auteurs le caractère quelque peu facile de leur dispositif, qui fonctionne grâce au charisme des sujets filmés et à la voix off d’un imitateur qui tient constamment le spectateur par la main. Toutefois, on ne peut pas nier l’efficacité de Being W. qui, grâce à son montage intéressant, lie des images d’archives de Bush à des extraits de films anciens. Cet assemblage filmique rappelle le principe de la série culte Dream On de John Landis, qui met constamment en rapport les actes et les pensées de son héros avec des séquences de série B. Le rythme du métrage ne ralentit pratiquement jamais, mais il faut avouer que le personnage a une vraie capacité à inventer des répliques cultes qui se comptent par centaines.
L’une des bonnes surprises de ce film, c’est que Zéro et Royer ne tombent pas dans le piège de montrer Bush comme un idiot à la manière des Guignols de l’info par exemple, qui ne retranscrivent pas – ou plutôt ne souhaitent pas retranscrire – l’intelligence du gouvernant en raison de leur anti-américanisme primaire. Les deux auteurs arrivent très bien à souligner l’incroyable talent en matière de communication du président qui s’est créé un personnage d’américain moyen, à la simplicité et à la bêtise assumées, afin de se rendre plus proche de ses concitoyens. Cela rappelle évidemment Nicolas Sarkozy, qui a tout appris de cette stratégie lamentable par son efficacité à draguer les masses. Ce qui est alors paradoxal, c’est que Zéro et Royer – qui semblent dénoncer la victoire de la communication sur la pensée – usent des mêmes artifices que Bush et Sarkozy. Le côté manipulateur de l’entreprise s’avère gênant tant le commentaire pervertit le sens d’images retirées de leur contexte. Ce dispositif rappelle le reportage télévisuel ou les pseudo-documentaires qui installent le spectateur dans un confort, l’empêchant de se créer un esprit critique. Tout est fait pour le guider, notamment la voix off toute-puissante qui donne l’illusion d’être une autorité suprême qui prêche la vérité. Devant Being W., le spectateur est alors dans la même position que le citoyen qui fait face à la propagande des équipes de l’Élysée ou de la Maison Blanche. Surtout Zéro croit donner à penser en démontant les mécanismes de l’administration Bush, mais il ne donne en réalité qu’à voir, tout en assénant des affirmations toutes faites agrémentées de bons mots, ce qui relève exactement de la même stratégie perverse.
Le film pose également problème par ses références trop appuyées à Michael Moore, notamment à son très manipulateur Fahrenheit 9/11 qui utilise un dispositif semblable avec des images d’archives liées à des morceaux de films. Mais là où Zéro et Royer étonnent, c’est qu’ils arrivent à mieux traiter l’épisode irakien que Moore qui exagérait en supposant de manière totalement subjective ce que le président pensait. Les auteurs ont l’intelligence de ne pas ajouter de voix off lorsque Bush apprend l’attaque du World Trade Center, alors que le réalisateur américain se montrait terriblement maladroit par son analyse de comptoir. L’autre problème que l’on peut évidemment soulever résulte de la forme qui amène à se demander si l’on est en présence de cinéma – plus précisément de cinéma documentaire – ou d’un simple montage d’archives, certes talentueux mais qui sort difficilement de l’aspect gaudriole pour amener une vraie réflexion. Cette œuvre est un bon divertissement, souvent drôle, mais son côté zapping, qui joue essentiellement sur le côté spectaculaire des répliques peut agacer. On aurait aimé de vraies révélations sur Bush et sa politique, avec des idées qui permettent d’élever le débat, mais l’objectif du film n’est sûrement pas de créer du sens. Being W. est un divertissement foncièrement superficiel dans son aspect subversif – à l’image du personnage Zéro – mais avec un sens du rythme qui s’avère plaisant. Le film arrive alors à faire rire pendant une heure trente, c’est son unique but.