Pour celles et ceux qui ne seraient pas au courant, Canal Plus a zappé Zéro. Au placard, le Vrai Journal. Mais notre ami Karl n’a pas dit son dernier mot. Il ressuscite et revient sur les (grands) écrans avec un « docu-marrant » sur Jacques Chirac, avec Jaques Chirac, à un an des élections présidentielles. Coup d’éclat ou coup d’État? Dans la peau de Jacques Chirac n’est pas un film politique, ce n’est pas non plus un film de propagande. L’insolence de Zéro ne va malheureusement pas plus loin que le dépoussiérage de vieilles bobines et l’habile bidouillage lexical. Le film tient tout de même une promesse: on rit pendant près d’une heure et demie. Et cependant, l’irrévérence serait-elle devenue politiquement correcte?
Quelle est la différence entre Jacques Chirac et Jean-Paul Belmondo selon Karl Zéro? Comme Belmondo, Jacques Chirac est un grand acteur, mais c’est en fin de carrière qu’il a fait À bout de souffle nous dit-on. Tiens, parlons-en du souffle. Car dès les premières images du film, une question s’impose: comment Zéro va-t-il sortir du zapping impertinent et tenir une heure et demie? La marmite politique du trublion de Canal Plus peut-elle échapper au piège d’un tel pari, à l’effet «best of»?
Karl Zéro et son complice Michel Royer sont des petits malins. Car, il ne s’agit pas d’évoquer chronologiquement la longue carrière de Chirac -ce serait trop simple et peu drôle-, il s’agit plutôt de travailler par associations d’idées ou de mots. Dans la peau de Jacques Chirac se présente comme un petit guide satirique de la prise de pouvoir en quelques leçons. Ainsi voit-on, grâce aux images d’archives, un Chirac brossant les électeurs dans le sens du poil, caressant son ego à coups de bains de foule et de tape-menottes (poignées de mains, dans le langage du journaliste). Audaces lexicales, lapsus et split-screens s’enchaînent, Chirac est au sommet, Chirac est dans la tourmente, Chirac est en campagne ou à la campagne. Succès, échecs et contradictions.
Quel est le parti pris des réalisateurs? Nos deux journalistes annoncent la couleur. La politique est un spectacle et Jacques Chirac, un grand acteur. Comment, dès lors, éviter l’outrage et la diffamation? Le film s’affiche comme une fausse autobiographie, une confession. Karl Zéro en écrit le monologue, Michel Royer plonge dans les archives de la télévision et nous donne à voir une série de pépites. Puis, Didier Gustin prête sa voix au commentaire off des séquences. Et l’on retrouve l’insolence rustique de Monsieur Karl Zéro: fragiles du tympan, sachez que la voix-off aux accents chiraquiens va vous bercer à coups d’« emmerdements » et de « ça vous troue le cul, hein? ». Enfin, par le travail de montage, par la collision entre texte et images, on organise une partie de ping-pong entre fiction et vérité en faisant croire à l’authenticité de la démarche: les images ne sont pas truquées. La voix de Didier Gustin imitant Chirac instaure une complicité et une fausse proximité avec le spectateur. L’effet comique provoqué par le commentaire favorise l’empathie du public et attribue au personnage une fausse humanité. Car qu’est-ce qui est risible dans ce docu-marrant finalement plus plaisant que sincère? C’est le regard que porte le faux Chirac (la voix) sur le vrai (l’image non truquée et néanmoins fausse car filtrée par les caméras, mais là, ça devient compliqué!).
Derrière ces petites manipulations, ce qui frappe et reste étonnamment fascinant, c’est le rapport que ce film cousu d’archives instaure avec le temps. De 1967 à 2006, le personnage, l’acteur Chirac est resté égal à lui-même. Le scénario médiatisé de sa vie publique est une histoire à répétitions dans laquelle le passé nous paraît étrangement contemporain.