« Le dernier chapitre » : rares sont les « derniers chapitres » d’une série qui portent aussi mal un tel sous-titre. Seules les vingt premières et les dix dernières minutes de Belle et Sébastien 3 l’autorisent à prétendre, en l’énonçant littéralement, qu’une page se tourne pour ses héros homonymes qui devront laisser derrière eux leurs racines et, pour l’un, un peu de son enfance. Mais entre ces repères posés uniquement en termes de scénario, malgré quelque élément de nouveauté (nous y reviendrons), rien dans les nouvelles aventures de la brave chienne des Pyrénées et du petit garçon adopté dont elle est l’amie fidèle ne travaille l’idée d’achèvement, d’arrivée, d’imminence d’une rupture, de quoi que ce soit marquant la terminaison d’un cycle au regard des épisodes précédents. Tout au plus ce sous-titre flotte-t-il quelque part dans notre esprit au moment de l’acmé du film sur un étang gelé, participant à un certain suspense en laissant imaginer que l’histoire de Belle et de Sébastien au cinéma pourrait bien trouver là sa fin, avec une brutalité inattendue à rebours de l’innocence enfantine jusque-là accréditée. Fugitif intérêt : la résolution de ce suspense déçoit en faisant comme si cette inquiétude n’était qu’un mauvais mouvement d’humeur passager à oublier vite (la scène aurait-elle attiré la même attention sans ce sous-titre ? on peut en douter). Il est assez déprimant de constater à quel point le label « dernier chapitre » ne s’avère ici qu’un argument de marketing faisant miroiter des enjeux que le produit qui le porte n’assume pas vraiment, précisément parce qu’il est pensé avant tout comme un produit labellisé. Et s’il soucie si peu de travailler chez le spectateur la perspective de devoir se séparer de ses personnages, c’est bien parce qu’il ne considère ce dernier que comme un consommateur — lequel ne devrait guère s’émouvoir si la franchise décidait de remettre le couvert dans trois ou quatre ans, hypothèse tout à fait plausible.
Les montagnes enluminées
En attendant, Sébastien a encore grandi, Belle est maman d’adorables chiots, mais l’offre Belle et Sébastien 3 reste la même que celle des épisodes un et deux. Soit une capsule isolée du reste du monde, géographique (des Alpes où la blancheur immaculée de la neige comme celle des poils de Belle ne saurait exister que sur un écran) et temporelle (on n’évoque la Seconde Guerre mondiale, récemment finie, que pour le cachet passéiste), où le programme de péripéties, de personnages aux caractères simples, de sentiments sirupeux et d’intermèdes comiques n’est là que pour donner un sens à ce qui intéresse vraiment les techniciens à l’œuvre : le soin apporté à l’emballage. Il est symptomatique, dans cet épisode, que même en suivant un véhicule dévalant une pente à pleine vitesse dans l’urgence d’une situation qu’on est supposé ressentir, la caméra ne peut s’empêcher de quitter la trajectoire pour s’élever et aller contempler pour l’énième fois les lignes neigeuses à l’horizon. Et l’on devine que cette attention débordante pour le décor, cette façon de filmer les endroits les plus resplendissants sous la lumière la plus avantageuse, fait moins œuvre de célébration de la nature que de camouflage : un prétexte pour que ces aventures de Belle et Sébastien soient distribuées en grand format dans des salles de cinéma, alors que leur absence de relief, ou plutôt l’incapacité de ceux en charge du film à leur donner du relief, les destine de toute évidence à la télévision, comme une version remastérisée, colorisée mais pas vraiment repensée de la série de Cécile Aubry dont elles sont l’adaptation.
Les accessoires du mal
Un seul élément du film semble à même de distraire de ce ronronnement : l’antagoniste, dont on ne saurait se tromper sur le rôle au regard de son portrait dressé au premier degré — soit un fossoyeur mi-chauve, à barbe sombre et tout de noir vêtu du chapeau au bas du long manteau. Vrai méchant de production Disney auquel toute forme de nuance a été refusée, cette figure carnavalesque a le don de tirer systématiquement la couverture à lui à chaque apparition, aux dépens de ses fades adversaires — ostentation peut-être pas étrangère au fait que son monolithique interprète Clovis Cornillac est aussi en charge de la réalisation du film. Ainsi couvert de la tête aux pieds de signes d’une illustration du Mal bien voyante, l’homme se dresse en figure dont l’intensité visuelle, inédite dans la trilogie, pourrait marquer une étape à franchir qui justifierait le sous-titre « ultime ». Mais en pratique, le problème est que face à cette figure, les autres ne se voient renvoyés que superficiellement à leur propre rapport au mal, si bien qu’au bout du compte elle reste une silhouette où se disputent la fonction de personnage et celle d’accessoire ambulant, tant se remarquent ceux qu’il porte — surtout la grossière fausse calotte crânienne. Un autre accessoire, cependant, lui dispute la vedette, pas un qu’il porte, mais un qu’il habite : son véhicule, un énorme camion militaire de montagne de couleur sombre comme lui et dont on ne peut manquer le sens allégorique de menace mécanique au milieu des décors naturels d’un blanc immaculé. Son sens va un peu plus loin que cela, réalise-t-on à la faveur d’une information : le fossoyeur déclare avoir acquis ce véhicule pendant la guerre, en gagnant une partie de dés — qu’on devine truquée — avec les Allemands. Le temps d’une phrase, le camion — où il conserve d’ailleurs les dés truqués à portée de main sur le tableau de bord — devient le symbole de cette tendance du cinéma grand public français à la décoration vintage d’inspiration historique peu regardante, soudain impitoyablement ramenée à sa matière la plus significative : un accessoire remplissant bien sa fonction décorative, mais tout de même un peu encombrant.