La raffinerie de Donges. Labyrinthe de cheminées géantes, d’escaliers de secours, de cuves aux dimensions inhumaines, qui lui donne des airs de parc d’attraction post-apocalyptique ; mais aussi haut lieu de l’action syndicale en France, porte-drapeau de l’opposition à la réforme des retraites en 2010 avec un arrêt complet de trois semaines. Au milieu, Nadège Trébal, jeune documentariste issue de la Femis, vient poser son regard sur ces hommes qui font vivre chaque jour l’action sociale : un regard sensible, touchant, bien qu’un peu lénifiant sur la longueur.
Le film s’ouvre sur un homme. Il chasse aux premières lueurs, dans une prairie à une petite distance de l’usine. L’image est énigmatique, mais ce qui est clair, c’est que cet homme est seul. Le film de Nadège Trébal additionne des hommes seuls. Même quand ils sont en groupe, elle se tient souvent à un seul visage, très longuement, pour capter les levers de sourcils, les regards embarrassés, les infimes expressions faciales. Comment ne pas penser au Combat ordinaire de Manu Larcenet ? Le cadre, un complexe industriel, sur la mer, la rudesse du travail, l’écrasement systémique des individus. Mais surtout, un regard sensible sur les travailleurs, un par un, et sur l’homme sous le casque. Les photographies du personnage de Marco, dans la bande dessinée, ressemblent à s’y méprendre aux longs plans fixes silencieux de Trébal, auxquels les ouvriers de l’usine réagissent plutôt comme s’ils étaient pris en photo que filmés. La caméra tourne, non pas en attendant « l’événement », la pépite, le geste qui veut tout dire, mais simplement pour laisser le film s’écouler et épouser le déroulement du quotidien.
Le Combat ordinaire
Si l’approche documentaire à fleur de peau de Nadège Trébal emporte notre adhésion en terme de distance, de justesse, l’impression de surplace, elle, finit par se faire sentir. Certes, le choix d’un mode non spectaculaire – pas ou peu de manifestations, ni de discours éloquents – est tout à l’honneur de la jeune réalisatrice. Elle documente avec soin l’action syndicale, qui travaille à pas de mouche, sans passion, sur des thèmes d’apparence aussi insignifiante que les prix de la cantine ou la prise en charge des frais bancaires. Être délégué syndical, ce n’est pas mener des grèves, c’est jouer le tampon entre les prérogatives des salariés et celles de la direction. C’est savoir garder de bonnes cartes sous le coude, dialoguer avec stratégie, entretenir la confiance des deux côtés ; à ce titre, la partie la plus passionnante du film est clairement celle des débats internes menés par le petit groupe qui mène la cellule CGT.
Mais le revers de médaille de ce rapprochement du quotidien, c’est la routine. Bleu pétrole prend assez tôt ses marques sur un rythme visuel, dedans-dehors, la journée de travail, les discussions au local syndical, la nuit, le lendemain. Passé l’heure de projection, l’ennui commence à menacer sérieusement. De temps à autre, une image puissante vient colorer d’esthétisme le train-train quotidien : l’allure majestueuse de la raffinerie, « entre le sapin de Noël et Manhattan », inspiration originelle de Nadège Trébal pour son film, refait surface. La musique de Rodolphe Burger, pendant sonore de cette posture de contemplation, vient souvent s’y accoler. Mais de façon générale, Bleu pétrole est engourdi par son confinement : confinement des lieux, des perspectives, de l’espace couvert par la caméra. Il faut accueillir avec indulgence ce défaut de rythme : un film sur le quotidien, c’est parfois aussi morne que le quotidien. Mais face à ce côté ardu, cette difficulté à suivre Bleu pétrole jusqu’à la fin, n’aurait-il pas fait un meilleur court métrage ? La question est posée. Il reste un film qui, malgré ses limites, a touché par sa proximité.