Puisque le film fonctionne comme si on vous écorchait la peau pendant deux heures vingt-quatre, le plus drôle est de regarder une fois la lumière rallumée le visage du peu de spectateurs qui auront survécu à la tornade : expressions horrifiées ou accablées selon les tempéraments. S’il y a eu des films brutaux, que la violence soit gratuite (Reservoir Dogs) ou pas (Salò ou les 120 journées de Sodome), Blood and Bones paraît un inédit de concentré exclusif de haine et de bestialité.
Orchestré par le Japonais Yôichi San qui fut notamment, ô contraste, assistant d’Ôshima sur le sublime et voluptueux Empire des sens, Blood and Bones donne naissance à l’incarnation effrayante du mal absolu, interprété par un Kitano talentueux, un homme fondamentalement mauvais, rustre, brute, sans cœur ni cerveau, obsédé par l’argent et sa conquête, un Shylock démesurément dénué d’humanité. L’histoire, même si dans cette configuration, importe peu, est celle d’un immigré coréen installé au Japon dans l’immédiat après-guerre. Dès l’introduction, on est mis dans l’ambiance, puisqu’il viole sa femme dans une scène sans pudeur ni ellipse ; si cette séquence est douloureuse à regarder, elle ne fait qu’annoncer les nombreux autres viols, les coups, les exploitations, et toute autre forme possible de dénégation de l’autre menées par ce personnage qui ne témoigne d’aucun relief psychologique. La narration englobe cet homme odieux et sa famille, à la croisée des tragédies grecques et des Rois maudits, aux destinées forcément désespérées.
La violence est lisible dans le rythme d’abord, qui, haletant et métronomiquement régulier, ne laisse aucun temps de souffle. Le montage tout d’abord est d’une rigoureuse précision et alterne successivement séquences de quelques minutes et plans. La caméra est fixe et n’approche jamais trop près les personnages. La narration n’est jamais envisageable au second degré. La seule explication au caractère inouï de méchanceté du personnage principal est sa nature profonde. Incrédulité, souffrance, choc, hébétude, anesthésie, choc, douleur, souffrance, ouf, voici enfin le générique, la lumière, le soleil dehors, malgré un goût de plâtre dans le fond de la gorge. Épuisant et plombant, pas nécessairement intéressant. Manger avant est recommandé.