Les grandes lignes du projet pouvaient inspirer un certain scepticisme. Cette évocation de l’assassinat du sénateur Robert F. Kennedy le 4 juin 1968 mobilise une distribution pour le moins dispendieuse, presque exclusivement composée de têtes d’affiche, faisant plus fort sur ce point le JFK d’Oliver Stone : on y croise des valeurs sûres, des étoiles montantes et même des stars sur le retour. Le tout dirigé par le comédien Emilio Estevez (Outsiders, Étroite surveillance), plus connu pour ses liens de parenté avec Martin et Charlie Sheen et une filmographie un peu en déclin depuis les années 1990 que pour son parcours clairsemé et peu remarqué de réalisateur.
Ce qui sauve Bobby du ridicule auquel pouvait l’exposer un étalage de stars à la limite de l’obscène — comme si le cinéaste tentait de faire son RFK à lui — c’est sa structure en suite de saynètes où aucun acteur n’a véritablement le temps de tirer la couverture à lui. En effet, la manière dont Estevez aborde son sujet historique est assez inattendue au premier abord : au lieu d’une stricte reconstitution de l’attentat, il choisit de faire un film choral sur les lieux de ce dernier — l’Ambassador Hotel — et dans la journée fatale du 4 juin. Soit plus d’une vingtaine de personnages pour la plupart fictifs, voulus comme représentatifs d’un certain état d’esprit de l’Amérique d’alors. Si bien que le film, paradoxalement, s’attarde moins sur l’adulé sénateur Kennedy, seulement présent hors champ à la fin mais dont le nom circule partout, que sur ce petit théâtre concentrant l’image de tout un peuple qui s’apprête à vivre une tragédie.
Estevez déroule et entrecroise consciencieusement ces petites histoires individuelles jusqu’à leur rencontre avec la grande. Il évoque ici le refus des jeunes de partir au Viêt-Nam, là les tensions raciales, là encore les relations entre les blocs Est et Ouest, ou l’engagement civique naissant… On n’est pas loin d’un concentré de cours d’histoire. La réalisation est soignée, voire proche de l’académisme avec son emploi de la plate musique de Mark Isham à la fin de chaque séquence ; l’interprétation générale est correcte ; l’ensemble témoigne de la compétence de l’équipe technique, à peine perturbé par la seule incongruité du film, moment de comédie décérébrée égaré dans l’ouvrage : l’improbable Ashton Kutcher en gourou hippie, prétexte à une scène de trip des plus kitsch.
« Absence de coup de rein »
Ce qu’on peut reprocher à Bobby, c’est moins son classicisme artistique que son absence de coup de rein, de prise de risque pour donner à son discours une vraie portée, au-delà des intentions énoncées et enrobées dans une forme rassurante. Estevez ambitionne de dresser un portrait de l’Amérique de 1968, mais il la résume à une poignée de figures attendues ou pire, de clichés. Comme il focalise son attention sur ce microcosme, la convention tend fatalement à prendre le pas sur la réalité de cette supposée radiographie. Même l’assassinat final de RFK participe, assez insidieusement, au respect de la dramaturgie hollywoodienne, concluant voire parachevant une série de happy-ends : les couples en froid se resserrent, le jeune blessé ne partira pas au Viêt-Nam, le raciste se repent, etc. Des résolutions conventionnelles qui diluent quelque peu l’impact qu’Estevez souhaitait transmettre de l’attentat : une certaine perte d’innocence de l’Amérique.
Assez inoffensif au bout du compte, pas foncièrement antipathique, Bobby ne devrait sûrement pas focaliser autant l’attention de la critique et du public que les films à connotation politique apparus dans le cinéma américain ces dernières années. Fruit d’ambitions au fond plus limitées (plus modestes ?) que celles affichées par un Michael Moore ou un Stephen Gaghan (Syriana), il se fourvoie en diluant celles-ci dans les conventions avec lesquelles il compose : celles d’un Hollywood bien précautionneux et prévisible, surtout quand il fait de la politique.