Après l’amusement nonchalant d’Ilusiones Ópticas, le réalisateur chilien Cristián Jiménez réalise un drame placide, non sans humour, et non sans pesanteur.
De nos jours au Chili, Julio rate une occasion de dactylographier le roman d’un écrivain célèbre. N’osant pas l’avouer à sa voisine et maîtresse occasionnelle, il commence l’écriture d’un roman pour feindre de lui montrer, semaine après semaine, le travail de l’écrivain. Ce roman, c’est sa vie quelques années plus tôt, parfois lue ou racontée à son amie, surtout revécue pour le spectateur. On l’y découvre jeune étudiant en littérature, sans passion jusqu’à sa rencontre avec Emilia, puis leur vie commune, essentiellement constituée de lecture, de sexe, et de placidité.
Habilement mais non sans complexité, Bonsái enchâsse la vie et les romans pour jouer sur les impacts du réel sur la fiction, et réciproquement. Là où souvent le jeu du cinéma est de troubler le spectateur en le trompant sur la nature de ce qu’il voit, le réalisateur chilien Cristián Jiménez se contente de leurs influences. C’est tout à son honneur – puisque naturellement moins évident – de délaisser les pouvoirs de l’image pour s’aventurer dans le seul trouble des faits.
On se souvient du lecteur de Cortázar confortablement assis face à un parc, absorbé par le récit d’un homme pénétrant dans une maison pour y accomplir un meurtre, gravir un escalier, traverser des pièces et avancer dans le dos de sa victime, occupée à lire un livre confortablement assise face à un parc… On se souvient des Fleurs bleues de Queneau et de l’apologue qui l’accompagne : « Tchouang-tseu rêve qu’il est un papillon, mais n’est-ce point le papillon qui rêve qu’il est Tchouang-tseu ? » On se souvient du narrateur de Proust se demandant, dans le demi-sommeil qui suit la lecture du soir, s’il n’est pas lui-même ce dont parle l’ouvrage…
On pourrait se souvenir longtemps ainsi, de films ou de romans qui jouent du statut de leur récit et de leur narration, et que citent allégrement les personnages de Bonsái. Jiménez ajoute un ton de placidité triste aux histoires, des vies ternes dans une ville terne, malgré la jeunesse, la vitalité de leur chair et le rock omniprésent. C’est qu’il illustre le sentiment d’impuissance et de solitude d’une génération post-dictature. Vue de France, sans contexte précis, pas évident d’y rattacher les histoires de Julio et d’Emilia. Reste une pesanteur artificielle qui caractérisait déjà son film précédent : Ilusiones Ópticas. Moins absurde, moins drôle et moins comique, Bonsái parait plus proche d’une nostalgie consciemment passée dans un récit très écrit, à la puissance toute théorique.
Les symboles d’une littérature devenue un pur échappatoire, mêlés à une mise en scène et un montage sages, parfois presque scolaires, finissent par ennuyer. Julio ne semble là que pour énoncer les idées de son créateur, tant il les brasse sans s’animer à leur contact. Le film peine à choisir une voie claire, même à se laisser prendre à son propre vertige et à rêver. L’on ne saura pas, par exemple, si un roman bien énoncé peut devenir réel, ou si une fiction peut ensorceler son lecteur. Julio, tout hébété qu’il est, semble ne rien penser de ce qui lui arrive, du fortuit ou de la malédiction. On croirait un unique cadre formel, un simple accompagnement de sa vie anémique. Aurait-il mieux valu une autre forme au film, ou plus de foi au réalisateur ? En l’état, Bonsái ne contamine guère plus qu’un peu de nonchalance.