Depuis quelque temps, le Chili ne cesse de nous faire découvrir des jeunes cinéastes talentueux, qui dissertent intelligemment sur l’état de leur pays et de sa population. Le film de Cristián Jiménez, qui est une comédie noire à la douce mélancolie, diffère un peu de la forme plus dramatique des œuvres de ses compatriotes. Si Ilusiones Ópticas intéresse par son discours pertinent et la justesse de ses acteurs, il lui manque cependant un peu de maîtrise scénaristique et de profondeur dans le traitement de sa thématique pour convaincre totalement.
Le cinéma chilien nous offre actuellement de belles propositions filmiques grâce à une nouvelle vague de réalisateur interrogeant le langage cinématographique et l’évolution de leur pays. Si Tony Manero, Huacho, Navidad et Ilusiones Ópticas, sont des œuvres au style très différent, elles ont toutes pour point commun de disséquer les problèmes humains et sociétaux du Chili, un état qui se remet – notamment économiquement – de nombreuses dictatures dont celle du tristement célèbre Pinochet. Dans cette lignée de jeunes auteurs, Cristián Jiménez a décidé de réaliser pour son premier long-métrage une comédie douce-amère, qui prend la forme d’un film choral, où différents personnages ubuesques se rencontrent dans un centre commercial de Valvidia.
Teinté d’un humour noir masquant le tragique et la mélancolie qui habitent chaque individu, ce métrage nous parle d’illusions, d’aveuglements et de faux espoirs dans les sentiments et dans un pays en pleine mutation. L’un des personnages principaux, un aveugle qui retrouve en partie la vue, symbolise parfaitement cette idée : désemparé face à l’absurdité du monde et des gens qu’il découvre enfin, il s’enfonce dans une dépression et un refus de voir. Le Chili est représenté comme un territoire déséquilibré, s’adaptant avec difficulté à une modernité faite de licenciement et de replis sur soi, cette idée étant métaphorisée par un jeune homme qui se réfugie dans le judaïsme. Le pays apprend peu à peu à intégrer la nouvelle donne mondiale qui présente son aspect le plus pervers : une uniformisation pure et simple des cultures liée à notre époque de globalisation. La vie de la communauté décrite est réglée autour de deux lieux centraux à haute signification : un centre commercial qui dicte leurs faits et gestes et une entreprise en pleine restructuration, n’hésitant pas à tailler dans les « ressources humaines » pour être compétitive dans l’économie de marché.
Pour mettre en scène ces différents thèmes, le réalisateur compose un ensemble de séquences burlesques teintées de tragédie, où il choisit d’utiliser le plan fixe. Ce dispositif permet d’accentuer la bêtise et l’absurdité de l’univers décrit : les pieds nickelés qu’il nous présente sont filmés frontalement afin de montrer au mieux la détresse qui les habite. Le récit, dans la tradition du film choral, amène évidemment les différents protagonistes à se rencontrer lors de séquences amusantes. Mais plus que les tons colorés de la comédie, ce sont surtout les tons gris qui dominent un film au fond mélancolique. Les différents personnages semblent jouer un rôle, à la manière des fonctions qu’ils exercent, notamment dans le monde de l’entreprise : comme absents d’eux-mêmes, ils subissent plus leur environnement qu’ils ne le maîtrisent.
Malgré toutes ses belles intentions, le jeune cinéaste ne réussit pas à convaincre totalement : son film souffre d’un manque de rythme, élément essentiel de la comédie, celui-ci jonglant difficilement entre une douce tristesse et un humour noir qui n’est pas suffisamment corrosif. Si les thèmes abordés sont pertinents et les comédiens excellents, Ilusiones Ópticas demeure gentillet, l’auteur ne poussant par la satire assez loin pour faire réfléchir sur sa société et sur l’humain. Il s’attarde également avec trop d’insistance sur une histoire entre un jeune agent de sécurité et une femme bourgeoise qui se joue de lui et de sa situation d’esclave du capitalisme représenté par le centre commercial. Cette maladresse entraîne un déséquilibre avec des séquences moins développées, mais beaucoup plus plaisantes et percutantes dans leur message, notamment les récits liés au personnage aveugle et à un « vieux » cadre licencié. C’est le risque inhérent aux films choraux, qui doivent être maîtrisés de part en part scénaristiquement et formellement pour fonctionner et empêcher une certaine lassitude – ce qui est plutôt l’apanage de réalisateurs plus expérimentés comme Robert Altman ou Alain Resnais. On louera les belles intentions de l’auteur, mais on restera beaucoup plus réservé quant à sa science de la comédie et de la mise en scène, qui serait, peut-être, plus adaptée au drame. À suivre tout de même.