Défilés de mods en scooters, bagarres sur la plage et autres duels au couteau sont au programme du premier long métrage de cinéma de Rowan Joffe. Le réalisateur et scénariste britannique y transpose un roman de Graham Greene (déjà adapté au cinéma par John Boulting en 1947) dans le Brighton des années 1960. Après avoir mis à mort un membre d’une bande rivale, Pinkie, un ambitieux gangster à peine sorti de la puberté, s’aperçoit qu’une jeune femme est susceptible de témoigner contre lui. Il entreprend alors de s’assurer de son silence par la séduction. Intrigue classique, presque banale, mais Joffe trouve les moyens de lui donner une réelle consistance.
D’abord parce qu’il parvient à rendre vivante sa restitution des années 1960. Certes, cela fonctionne en partie grâce à une facilité – une photographie aux tons légèrement criards et délavés. Mais la reconstitution est étoffée par certaines trouvailles scénaristiques, ainsi que par une attention aux décors, costumes et maquillages qui permet de considérer le film comme une plaisante balade dans le passé. Tout ceci a cependant un autre mérite: celui de donner une certaine rugosité à l’histoire racontée, garante de l’intérêt que l’on peut y trouver. Rowan Joffe manifeste un franc talent pour créer des atmosphères à la fois typiquement « film noir » et assez personnelles, ce qui le place au-dessus du statut de faiseur lambda.
Ce sens du détail s’exprime également au niveau du scénario. Un moment d’attente dans le hall d’un hôtel de luxe, l’achat d’une robe, un disque rayé : le récit intègre habilement ce type de digressions et de singularités. C’est ainsi qu’il parvient, par exemple, à rendre attachant le personnage de la jeune fille, en faisant deviner par touches que son attraction pour le bandit qui la courtise est une stratégie inconsciente pour échapper à une existence médiocre. Le film sait fabriquer ce type de flottement dans les relations entre les personnages, en fournissant des indices contradictoires quant aux intentions de chacun, produisant ainsi une agréable ambiguïté. Du fait de judicieux choix narratifs, le rythme n’est cependant pas affecté par ces moments creux. C’est un bel équilibre que trouve ici Brighton Rock : faire l’économie des scènes d’exposition inutiles, toujours rentrer dans le vif du sujet, mais s’accorder néanmoins l’espace nécessaire pour mettre en évidence les instants où l’action est d’ordre simplement émotionnel.
L’inventivité qui colore le scénario et la mise en scène du film est malheureusement trop peu présente dans les dialogues, extrêmement convenus et plats. La plupart des personnages restent ainsi figés dans le stéréotype, faute d’être incarnés par des acteurs suffisamment habiles pour se jouer de lui. Pire, Sam Riley, qui incarne le personnage principal, est tellement engoncé dans l’attitude qu’il a choisi de revêtir pour se transformer en méchant qu’il ne parvient pas une seule seconde à faire oublier qu’il est en train de jouer un rôle. Si son visage inexpressif et renfrogné convenait assez bien à son interprétation du rôle de Ian Curtis dans Control, il devient ici un barrage qui nous empêche de croire que cet homme puisse être aussi effrayant et séduisant à la fois qu’il est censé l’être. On compense alors cette frustration en admirant Helen Mirren transcender tous les clichés. Son personnage de dame vieillissante et surmaquillée, aux méninges alertes et à la volonté indéfectible, est rendu parfaitement vivant par cette actrice d’une classe absolue.
En somme, Brighton Rock est écartelé entre des facilités qui alourdissent non seulement les dialogues mais aussi la mise en scène (plongées, contre-plongées et musique menaçante) et une évidente sensibilité qui fait qu’il sort tout de même du lot. Au sein de même scènes peuvent cohabiter de franches maladresses et une certaine poésie, si bien que le film, sans être véritablement convaincant, sait imprimer sa marque dans l’esprit du spectateur.