Il faut bien avouer qu’un film d’Allen Hughes (Le Livre d’Eli) avec Mark Wahlberg en flic alcoolique et Russell Crowe en maire de New York corrompu n’intrigue que fort peu sur le papier. Et pourtant… rien. L’alignement de clichés, l’accumulation de préciosités scénaristiques et le refus absolu de toute subtilité qui sortirait ce film complotisant de la compilation des morceaux de bravoure intimes et physiques font de cet objet estival un bon gros navet filandreux.
Il va s’avérer difficile de classer Broken City dans un genre tant le film hésite entre différentes marques, différents thèmes et différents topoï : le cinéma politique, d’une part, est effleuré au travers du personnage du maire clientéliste Hostetler (Russell Crowe, au regard presque bovin), protecteur de flic assassin et spéculateur immobilier. On sent pourtant dès les premières scènes que cet ersatz de grand méchant sera aussi peu filmé que son parcours, ses ignominies et ses magouilles : c’est Russell Crowe lui-même qui est vendu. D’autre part, le cinéma d’action a la part belle, mais reste en surface, se targuant de quelques moments de baston obligatoires et parfois totalement insensés et inutiles : son représentant est Mark Wahlberg, alias Taggart, flic porté sur la bouteille qui, après avoir tiré sur un violeur (on lui pardonne donc), a dû quitter la police et monter son agence de détective privé. Après une mise en contexte alléchante -le procès de Taggart, plié en trente secondes chrono, et les manifestations des habitants du quartier dans lequel la fusillade a eu lieu, odieux décor déshumanisé au possible-, Broken City retrouve sept ans plus tard un Taggart sobre, un peu déstabilisé par son actrice de petite amie et une situation professionnelle instable. Il est engagé par Hostetler pour surveiller sa femme infidèle, avant de découvrir un complot assez flou et une possibilité, ô grâce, de rédemption.
Il est assez affligeant de constater à quel point ces films jouent insidieusement sur l’évacuation de toutes les problématiques politiques qu’ils présentent sans les prendre au sérieux : le quartier du meurtre va être rasé au profit d’un petit groupe immobilier copain du maire. On ne verra rien des tractations en haut lieu ; on ne verra rien, en fait, de cette « ville brisée » qui n’est là que pour permettre un titre vendeur et englober le vrai sujet : un face-à-face entre deux acteurs bankable. Les moments de grande tension (il est facile de les reconnaître, la lumière devient bleue et les poings jaillissent) ne sont que des climax de bas étage. Dans le même registre, chaque personnage possède des caractéristiques simplistes : le flic alcoolo est jaloux et déteste le cinéma indépendant (dont la parodie méprisante est d’une pauvreté ahurissante), le maire corrompu fronce les sourcils quand il est menacé (Allen Hughes ne se risque d’ailleurs pas à filmer autre chose que son visage)… et les femmes, les femmes ! Elles servent deux thèmes : la sexualité et le mystère. La première, petite amie de Taggart, ne sert qu’aux parties de jambes en l’air ; la seconde (pauvre Catherine Zeta-Jones), met et remet ses lunettes noires en soulignant la pauvreté métaphorique de ses courtes apparitions. On ne nous épargne même pas la secrétaire au décolleté plongeant ! Broken City n’est pas seulement dénué de but cinématographique, d’atmosphère urbaine, politique et intime, il montre l’incapacité totale (ou l’absence de volonté ?) de son réalisateur à livrer du sens ou un tant soit peu de plaisir de l’image, image qui reste ici une pâle illustration des intérêts commerciaux de chacun.