Ce film documentaire de Daniel Leconte décrit le procès qui avait opposé Charlie Hebdo à différentes institutions islamiques, suite à la publication des caricatures danoises de Mahomet dans l’hebdomadaire. Cette œuvre, qui a pour but de dénoncer la censure dont a fait l’objet cette affaire, est louable par ses bonnes intentions, mais elle souffre d’une forme trop télévisuelle et d’un point de vue déséquilibré, qui ne laisse que peu de place aux propos des musulmans.
C’est dur d’être aimé par des cons a pour grande qualité de rendre davantage visible le procès de Charlie Hebdo, qui fut passé sous silence par un grand nombre de médias français. Ces derniers se sont réfugiés dans l’hypocrisie et l’autocensure, sûrement par peur de représailles dans un contexte mondial assez délicat où les extrémistes musulmans tentaient des actions de forces. Ainsi, le directeur de France Soir fut licencié quelques temps après la publication des caricatures et L’Express fut revendu quelques mois plus tard par son propriétaire. Ces faits ne pourraient relever que de la pure coïncidence mais le journaliste Denis Jeambar, interviewé dans le film, démontre très bien la peur qui s’est propagée dans les rédactions. Daniel Leconte explique d’ailleurs que beaucoup de grands médias n’ont pas voulu apporter leur aide à la conception du film. Après le 11-Septembre, le meurtre de Theo van Gogh aux Pays-Bas ou encore l’affaire Idoménée en Allemagne, la publication par un journal danois de douze caricatures d’assez mauvais goût, reprises par la presse française, ne pouvait qu’ajouter de l’huile sur le feu. Le réalisateur arrive très bien à cerner l’enjeu d’un procès qui n’était pas seulement franco-français, grâce à l’utilisation d’images d’archives dans un style journalistique. Surtout, il dénonce avec force l’autocensure par des révélations intéressantes sur le système politico-médiatique. Le cinéma en ressort grandi car il devient ici un espace de débat, qui permet à la liberté d’expression de reprendre ses droits.
Toutefois, les bonnes intentions ne permettent pas toujours de donner un grand film. Le problème de cette œuvre c’est qu’elle a une forme trop télévisuelle, avec un dispositif très faible qui ne la différencie que très peu du reportage. Leconte n’avait pas l’autorisation de filmer le procès, ce qui l’a amené à interviewer les protagonistes sur un fond noir, en essayant de les remettre dans le contexte. Si cela permet d’éviter tout effets déplacés et de contourner l’interdit, il en résulte un véritable échec esthétique, puisque le film se résume à un ensemble d’entretiens assez basiques, sans véritables formes cinématographiques. Le réalisateur utilise les dessins satiriques de l’hebdomadaire afin de signifier les différentes phases du procès, mais ils sont insuffisamment exploités pour créer quelque chose d’original ; il ne s’agit que de simples effets qui s’incrustent dans le film sans créer de sens. Le film raconte plus qu’il ne figure : les entretiens sont assez succulents avec des orateurs excellents mais cela entraîne une victoire de la parole sur la mise en scène. Les interviews sont toutefois entrecoupées de séquences filmées dans la salle des pas perdus du tribunal qui sont très réussies ; Leconte arrive à capter avec talent la ferveur de cette confrontation d’idées, les parties s’invectivant avec passion et parfois avec bêtise.
Le point de vue de cette œuvre pose également problème : Leconte, même s’il s’en défend, va uniquement dans le sens de l’équipe de Charlie Hebdo, la partie adverse étant clairement reléguée au second plan. Évidemment, on peut comprendre cette initiative, tant les arguments adverses semblent absurdes, mais cela semble tout de même surprenant pour une œuvre qui disserte sur la liberté d’expression. Si l’on ose comparer son dispositif à celui du Chagrin et la pitié, la différence d’approche est très nette : contrairement à Leconte, Marcel Ophuls laisse place aux paroles des différentes parties et cherche à faire transparaître le réel grâce à des questions percutantes d’intelligence. Ici, Leconte ne fait que flatter avec insistance Philippe Val, son équipe et son avocat. Les musulmans sont essentiellement représentés par maître Szpiner et le Père Michel Lelong, au propos plus que limite, ce qui est tout de même assez faible et légèrement néo-colonialiste dans l’esprit. Le professeur Mozzafari et l’essayiste et poète Abdelwahab Meddeb réalisent de belles interventions, ce qui peut faire croire à un rééquilibrage du point de vue, mais leurs propos visent également à soutenir Charlie Hebdo. Les musulmans qui s’opposaient à la publication des caricatures se font alors remarqués par leur absence. En étant objectif, leurs témoins étaient beaucoup moins nombreux et prestigieux que ceux de l’hebdomadaire satirique, et ils ont sûrement refusé de s’exprimer mais il était quand même possible de trouver un contrepoids et de donner davantage de paroles aux institutions islamistes. Saluons tout de même le courage de l’équipe de Charlie et de Daniel Leconte, qui livre ici un film loin du discours aseptisé dans lequel se complaît notre société. C’est dur d’être aimé par des cons permet ainsi de poser à nouveau les questions de la censure médiatique et du difficile respect des droits fondamentaux par l’intégrisme religieux. Il ne reste plus qu’à attendre un documentaire sur l’affaire Siné, qui touche également à la liberté d’expression.