Titulaire de nombreux prix avec son court métrage Cashback, le photographe Sean Ellis a décidé de propulser son idée sur le grand écran. Désireux à la fois de conserver le propos esthétique développé dans le court métrage et de s’assurer les faveurs du public, le long Cashback hésite entre comédie lourdingue et proposition cinématographique pertinente, sans vraiment se trouver.
Jeune peintre et étudiant en art, Ben est profondément dévasté par sa rupture avec sa petite amie, à tel point qu’il en perd complètement le sommeil. Il décide de s’engager en tant que membre de l’équipe de nuit d’une supérette locale, autant pour oublier son échec sentimental que pour passer le temps. Les uns et les autres ont leur manière de tromper l’ennui, aux petites heures du matin: Ben se découvre un talent pour arrêter le temps à sa guise.
Cashback est indéniablement un OVNI cinéphilique. Le film offre une proposition étonnamment mature et intéressante en matière de regard sur l’image, sur la composition visuelle, sur l’essence même de la beauté, et sur sa représentation. Certaines scènes ont un potentiel incroyable, comme celles où Ben arrête le temps dans le supermarché, déshabille doucement les clientes, et passe un temps infini à les dessiner, estimant que de toutes, la beauté féminine est la plus évidemment superbe, mais aussi la plus naturellement suggestive, en faisant une œuvre d’art complète. Lors de ces moments réflexifs, intenses intellectuellement, le film fait montre d’une impressionnante homogénéité entre son discours visuel et son discours intellectuel: selon le narrateur, qui reprend activement le propos du réalisateur, la beauté féminine, dans sa nudité, transcende la tentation sensuelle et érotique pour devenir une beauté absolue, autant dans son existence pure que dans ce qu’elle évoque. Fait incroyable, le film parvient parfois à effectuer le distinguo. Le narrateur est inopinément confronté, enfant, à la nudité d’une jeune fille. Dans cette séquence, la caméra parvient à sublimer le corps sans jamais tomber dans la vulgarité ou dans la complaisance. Ce regard aérien sur le nu féminin est présent dans tout le film, trace du talent objectif de son réalisateur photographe.
Hélas, ce qui faisait sans aucun doute la qualité de son court métrage (qui était long de 17 minutes) souffre d’être trop délayé dans le temps pour atteindre les 90 minutes réglementaires. Afin de combler les trous de son script, Sean Ellis a introduit dans son film des scènes potaches que l’on croirait sorties telles quelles de la série des American Pie (avec même un clone exact de Seann William Scott, habitué des comédies basses de plafond). D’où l’impression étrange et frustrante d’assister à deux films en un: d’un côté une réflexion poétique plutôt maîtrisée sur la beauté et l’image, de l’autre une comédie pour adolescents pré-pubères.
Croisement entre l’ambiance de Eternal Sunshine of the Spotless Mind et celle de Eh mec, elle est où, ma caisse?, Cashback choisit de ne pas faire de choix et perd son auditoire. Volonté affirmée du réalisateur-producteur? Désir de coller aux goûts d’un public que l’aspect « auteurisant » du film aurait refoulé? Mystère. Toujours est-il que la féerie du film, sa finesse potentielle, son intérêt se trouvent corrompus d’importance par ce côté bêtement comique. Tout ce que réussit à faire Cashback est de donner l’envie de découvrir le court métrage éponyme, où les enjeux esthétiques de son propos doivent être bien mieux traités.