L’errance est humaine. Il aura fallu dix ans et un voyage de l’autre côté du globe pour que Sean Ellis parvienne à accoucher des promesses formulées par son ticket d’entrée dans l’univers cinématographique, son court métrage Cashback. Avec Metro Manila, la froideur maniériste du réalisateur trouve dans un regard aussi mélodramatique que documentaire une expression pleinement pertinente, une maturité réelle : la fin des tâtonnements.
D’emblée, le style de Sean Ellis semble bien défini dès la version allongée de son court, Cashback (2006) : une obsession photographique, une idée de l’image pure et parfaite qui donne naissance à une esthétique glacée, séduisante et délicate, mais qui finit par paraître un peu vaine, dans son détachement du monde. L’impression est confirmée, deux ans après, avec The Broken, où l’identité visuelle du film en constitue le véritable enjeu, sans que Sean Ellis paraisse réellement concerné par son histoire de miroirs hantés.
Autant dire que la lecture du pitch de Metro Manila étonne, rompant drastiquement avec les choix scénaristiques passés de Sean Ellis : le cinéaste suit les pas d’une famille de paysans philippins menacés par la misère, décidant de tenter leur chance dans la région métropolitaine de Manille. Dès les premières images, le changement est perceptible : Sean Ellis s’attache aux pas de cette famille dans une volonté affirmée de vérisme. L’image est désormais subordonnée au sujet : la dynamique esthétique de Sean Ellis s’est inversée. Pour autant, le cinéaste n’a pas abandonné ses ambitions formalistes : il opère, dans Metro Manila, une symbiose harmonieuse entre la forme et le sujet. Cette évolution formelle lui permet de donner à ce qui est, fondamentalement, un mélodrame familial des allures de documentaire tiers-mondiste.
Sean Ellis a trouvé un type narratif capable de rendre, enfin, son esthétique cinématographiquement pertinente : il s’agit donc, fondamentalement, de sa première mise en scène réelle. Sa précision graphique, son attention perpétuelle au cadre et à la composition de l’image s’accordent parfaitement avec l’esthétique vériste qui permet de donner à Metro Manila le bénéfice du doute, de parer une intrigue qui appartient autant au polar qu’au mélo d’un vernis de vérité qui contribue grandement à sa force narrative. Les éléments purement romanesques interviennent ainsi comme une surprise dans un récit qui prend son cadre au corps, l’investit véritablement : Metro Manila, la métropole de Manille, tient véritablement la place centrale, et le film donne à voir une peinture sociologique d’une passionnante intensité.
Jusqu’à maintenant, Sean Ellis semblait hésiter, ne pas parvenir à conjuguer avec harmonie son sens esthétique avec une narration cinématographique traditionnelle. Metro Manila effectue la transition en douceur. Certes, on pourra regretter que l’univers de Sean Ellis ne s’éloigne de ses traits les plus expérimentaux. Malgré cela, il convient de ne pas sous-estimer la finesse avec laquelle il est parvenu à donner corps à son univers cinématographique.