Les extra-terrestres avec District 9, la dystopie avec Elysium, et désormais la robotique avec Chappie : Neill Blomkamp semble déterminé à parcourir un à un les grands courants de la science-fiction, alimentant son image de nouvel espoir en la matière. Le réalisateur a pourtant récemment avoué avoir « foiré » Elysium, à juste titre d’ailleurs, la dimension politique mise en place par son univers ayant été réduite à une simple toile de fond tendue derrière un blockbuster pataud qui faisait peine à voir. Faute avouée, faute à demi pardonnée paraît-il. Sauf en cas de récidive.
Automates
Les machines dotées d’une conscience ont jalonné l’histoire du cinéma, déclinaisons plus ou moins éloignées du mythe de Pinocchio. Miroirs imparfaits de l’âme humaine, ces créations soudain capables de raisonnements ont cette capacité de nous émouvoir par leur inaltérable envie de ressembler à leurs créateurs, qui le plus souvent ne peuvent s’empêcher de continuer à les traiter comme des objets. Depuis les romans d’Isaac Asimov notamment, la robotique a permis à la science-fiction d’allier la fascination que suscitent les définitions impossibles des concepts de vie et de mort, à cette envie enfantine de discerner dans les objets un esprit qui les émanciperait de leur simple utilité. Merveilleux et métaphysique, voilà les maîtres mots de nombre de films qui posèrent la question de ce que peut bien signifier la conscience de soi. Pourtant, malgré ce terrain aussi fertile, le film se contente de dérouler mécaniquement les péripéties attendues d’un blockbuster sans souffle. À défaut d’une réflexion sur son sujet, il y avait pourtant de quoi attendre un minimum d’émotion avec cette éternelle histoire d’un robot s’éveillant à la vie et se rebellant contre l’insupportable concept de mortalité.
Dès l’énoncé du contexte, le problème du film saute déjà aux yeux. Dans un futur proche, la police de Johannesburg utilise des robots-policiers bénéficiant d’une intelligence artificielle sans conscience pour maintenir l’ordre public. Ce postulat, riche en promesses de questionnements éthiques et politiques, est présenté comme un état de fait qui ne sera jamais remis en cause. Parallèlement, un couple de gangsters déjantés mais sympas, interprétés par les deux vedettes du groupe Die Antwoord, veut les désactiver pour assurer la réussite d’un braquage qu’ils sont obligés de commettre afin de rembourser une dette qui leur est injustement imputée (histoire que leur morale ne soit en rien entachée par un acte malveillant). À ce stade, on pourrait déjà se laisser aller à imaginer de meilleurs motifs pour chercher à désactiver des robots policiers dépourvus de conscience. Mais non, personne ne semble se poser de question.
Notre couple de gentils dealers allumés va donc par erreur se retrouver en possession du seul exemplaire investi d’une conscience humaine, au contact duquel Yo-Landi se découvre un instinct maternel, tandis que Ninja y voit la possibilité d’une arme de guerre à son service, luttant contre les tentatives du créateur de Chappie pour lui apprendre à suivre le « droit chemin ». Face à eux, le méchant ingénieur jaloux qu’incarne lourdement Hugh Jackman cherche à mettre en avant son idée apparemment irrecevable d’un robot policier commandé directement par un être humain (qui pourtant, lui, est doté d’une conscience…), et dont l’aspect est tout simplement un copier/coller du ED-205 que devait affronter Robocop dans le film de Paul Verhoeven. Avec un tel manque d’imagination dès la caractérisation des personnages, les possibilités se trouvent déjà forcément réduites.
Plug and play
Blomkamp aurait grandement gagné à tirer d’autres enseignements de Robocop, ce personnage hissé au rang de la créature du docteur Frankenstein, bouc-émissaire d’une humanité aveuglée par sa propre violence. Et sur la violence, Verhoeven ne se dégonflait pas, l’utilisant comme moteur d’une satire attaquant de front les valeurs sécuritaires américaines. Mais pas de dimension politique ici. Ployant sous un manichéisme pesant, la violence de Chappie n’est pas assumée, car jamais regardée en face et constamment relativisée. Que reste-t-il alors, la magie de l’incarnation ? Elle demeure malheureusement cantonnée à la réussite des effets spéciaux. Il faut reconnaître que les mouvements de Chappie sont techniquement très convaincants, mais cette réussite est annulée par le choix de mimer au plus près le comportement d’un véritable être humain. Passé la surprise des premières minutes suivant sa « naissance », aucun de ses mouvements ne prête jamais à étonnement, dépourvus de toute étrangeté et de tout merveilleux. Là où le robot Numéro 5, héros du naïf Short Circuit de John Badham, essayait d’imiter le battement des ailes d’un papillon avec ses sourcils mécaniques, Chappie, lui, caresse un chien d’un geste d’une triste banalité.
Serait-ce alors parce que Blomkamp cherche à mettre en place une science-fiction à l’esthétique réaliste ? Pas vraiment non plus, à en juger par le look de ce Johannesburg futuriste. Le squat qui sert de décor à une grande partie du film est éclairé de lumières élaborées, encombré d’objets colorés à souhait, au désordre savamment calculé. Même les paquets de dope étalés sur la table et les armes sont esthétisés. Dans cette ambiance de clip, les personnages évoluent artificiellement, posant sur des canapés usés pour lire en fumant des cigarillos. Cet univers factice qui semble uniquement destiné à servir l’esthétique des Die Antwoord constitue ainsi le théâtre de la quête initiatique de Chappie, qui va se résumer à aimer maman, obéir à papa, chérir l’existence de son créateur au péril de sa propre vie, et à punir (littéralement) le méchant, sans que rien ne donne jamais lieu à une scène interrogeant les rapports de Chappie avec le monde des hommes. Même la fameuse question de sa mortalité est évacuée au détour d’une astuce scénaristique qui vise avant tout à ne pas aborder le sujet. Tout est à sa place, rien ne déborde. Aucun embranchement des possibles ne se dessine jamais, et Blomkamp relègue le pauvre Chappie au rang de jouet catapulté dans un scénario en ligne droite parfaitement convenu, s’évertuant avant tout à fuir le moindre début de subversion. Encore une fois, un créateur ne s’est pas montré à la hauteur de sa créature.