La Seconde Guerre mondiale est sans doute le sujet qui a fait le plus dérouler de mètres de pellicule au cinéma. Comment en parler aujourd’hui tout en restant créatif ? Soixante-dix ans après la fin du terrible conflit meurtrier, le cinéma semble se tourner vers l’intime plutôt que les grandes épopées. Témoin ce Churchill, racontant les quelques jours précédant le débarquement en Normandie le 6 juin 1944 du point de vue du Premier ministre anglais : aucune bataille à l’horizon mais des interrogations sur la nécessité de cette opération risquée et coûteuse en hommes, objet de disputes entre le vieillissant Winston et les généraux américains Eisenhower et Montgomery. Sujet peu sexy a priori, auquel semble s’ajouter une remise en question un tantinet polémique de l’attitude d’un héros légendaire, que l’histoire a retenu comme l’homme providentiel du Blitz de Londres, ici peint comme un vieil homme à moitié gaga. Raté : le film se révèle tellement empesé qu’on a franchement du mal à y croire.
Churchill, homme truculent et obstiné, est un formidable personnage qu’on croirait inventé pour le cinéma : cigare au bec, démarche patibulaire, parole aussi distinguée que tranchante, le « plus illustre Britannique de l’histoire » (dixit le dernier texte du film, qui a dû oublier Shakespeare au passage), a fait le bonheur d’une vingtaine de productions cinématographiques et de séries télévisées, dont la récente The Crown (2016). Dans Churchill, Brian Cox profite à l’évidence de ce pur plaisir d’acteur qui lui est offert — pas un plan sans cigare ou scène sans une bonne insulte plaisamment envoyée avec l’accent de Sa Majesté. Trouver le bon équilibre entre les deux personnages qui lui sont attribués a dû sans doute se révéler plus complexe : d’un côté, l’homme altruiste marqué par les horreurs de la Première Guerre mondiale et cherchant à éviter à tout prix de les reproduire pour ses jeunes soldats ; de l’autre, le politicien entêté qui emmerde absolument tout le monde (le spectateur compris) avec ses obsessions. Problème : le scénario a privilégié la deuxième option, et pendant une bonne heure, le personnage comme le film ne progressent absolument pas. Ennui garanti.
Un anti-héros qu’on déteste détester
Churchill, donc, cherche à briser la « légende » Churchill. Sa femme lui coupe la parole et s’excuse à sa place ; ses seconds contredisent ses ordres derrière son dos et les généraux américains le traitent de « salopard » (rien que pour cela, on aurait aimé que le scénariste rajoute une petite scène entre De Gaulle et le Premier ministre anglais, mais les Français n’ont semble-t-il pas été mis dans le coup). Seul le roi George VI (incarné par un James Purefoy méconnaissable), qui en prend encore plus pour son grade, reste tout penaud devant lui. Même la mignonne petite secrétaire qu’il martyrise finit par lui dire ses quatre vérités : grand bien lui en prend, puisque Churchill cesse de radoter et se réveille de sa léthargie, pour prononcer à la BBC le discours patriote et victorieux dont il a le secret — et réconcilier du même coup tout ce petit monde derrière lui. La ficelle est prévisible dès les premières scènes du film, tout comme une grande partie des dialogues.
Certes, les faiblesses des grands héros de l’histoire sont tout aussi intéressantes que leurs forces. Était-il néanmoins nécessaire d’en rajouter dans les effets ? Rien ne manque pour donner à Churchill la langueur (lourdeur ?) la plus agaçante possible : ni les ralentis, ni les effets prétendument lyriques (des enfants faisant le signe de la victoire se reflétant dans la vitre de la voiture de Churchill ou la même voiture se reflétant dans les flaques), ni les panoramiques sur la plage où Churchill vient penser, et perdre son chapeau (pourquoi ? mystère), ni la photographie tristounette pour rappeler aux spectateurs inattentifs le contexte du film. Quant aux dialogues, comme le long discours du roi se justifiant de ne pas vouloir accompagner ses troupes au combat, ils se veulent aussi chargés de sens qu’ils en sont, de fait, vidés. Churchill est un film involontairement funèbre, qui enterre Churchill vingt ans avant sa mort.
On l’aura compris : si le Jour J avait duré aussi longtemps que Churchill compte de plans inutiles, la France serait encore sous le joug nazi. À choisir, on ira revoir les aventures normandes de John Wayne, Richard Burton, Henry Fonda, Bourvil et Arletty dans Le Jour le plus long. L’héroïsme a du bon au cinéma.