Le vétéran solitaire Eric Lomax rencontre dans le train Patricia, la femme qu’il va épouser… mais après quelques semaines de mariage, il devient de plus en plus distant, brutal, incapable de dépasser le traumatisme causé quarante ans auparavant par ses tortionnaires japonais. Poussé par sa nouvelle femme, il entreprend un périple sotériologique sur les lieux du crime.
L’histoire traumatique
Avant tout, il y a un décor historique marquant : la construction du fameux pont de la rivière Kwaï, la Seconde Guerre mondiale côté japonais… non, avant tout, il y a un mélodrame classique utilisant les ficelles temporelles pour tenter d’insuffler une profondeur à ses héros tourmentés… non, avant tout, il y a deux acteurs : Colin Firth en tête, assez convaincant dans le registre du bourru mutique, beaucoup moins dans celui du traumatisé violenté, et Nicole Kidman qui, après ses folies monégasques, a accepté ce qui s’apparente plutôt à un second rôle, une ombre de femme derrière un sujet : le traumatisme des prisonniers de guerre au Japon avant 1945. Les Voies du destin, curieusement, est entièrement construit sur l’idée d’accélération : la romance en guise d’introduction, les chapitres de l’explosion traumatique, de la prise de conscience, du voyage et du choix, la conclusion étant dédiée, comme de bien entendu, à un grand moment de pacifisme fraternel. Il est intéressant de constater que Jonathan Teplitzky, visiblement fasciné par son protagoniste mâle et révulsé par la violence des camps de travail japonais, ne prend cependant jamais le temps de dépasser l’anecdote. Chaque événement prend la suite d’un autre, voulant servir de pivot narratif, et restant dans une vague floue qui emporte et les sentiments humains et les espaces de l’histoire.
De l’inachèvement des figures
La reconstitution de la période de guerre s’ouvre sur un style proche de celui des films catastrophe : la cavalerie filmique est là, avec son cortège de violence ultra-montée, ses catégorisations point trop manichéennes mais tellement marquées (le Japonais cruel, le Japonais humilié, le prisonnier martyr, le prisonnier courageux) qu’elles s’apparentent, comme le rythme haché du film, à une succession de tentatives plus qu’à de réels portraits ou peintures d’ensemble. Tout le monde veut faire son Autant en emporte le vent, mais tout le monde n’a pas la même acuité d’un Fleming (ou d’un Cukor) pour mêler le souffle dramatique d’un temps et l’épopée individuelle.
Malgré quelques idées de mise en scène saisissantes et inattendues de la guerre comme celui d’un prisonnier plongeant dans la folie parallèlement aux soldats japonais, eux-mêmes engoncés dans une folie collective, Les Voies du destin reste au stade de la tentative. Le portrait de femme combattante au milieu des hommes blessés est écrasé par ce que Patricia découvre, disparaissant immédiatement au profit de la veine historique. De même, les relations entre tortionnaires et torturés, faite d’incompréhension idiomatique, d’humiliation et de résistance, sont trop balayées pour prendre une autre forme que celle de l’illustration simplette. La conclusion est en cela à l’image d’une œuvre restée à l’état de brouillon : le retour de Lomax sur les lieux de son enfer transformés en étape touristique était l’occasion rêvée de signifier la perte, la contradiction des temps et même l’idée d’acceptation. Il ressemble bien davantage à une démonstration mollassonne des vertus du pardon et de la réconciliation, préférant ainsi le décor d’une fiction centrée sur elle-même qui semble reculer devant les réels conflits qui la traversent.