C’est la trentaine bien avancée pour Stefano, musicien punk-rock à Rome, et l’heure du gros coup de mou existentiel pour cet adolescent attardé. Est-il tout à fait raisonnable de partir faire un bilan existentiel en compagnie d’une famille éloignée à tous les égards ? Une comédie plutôt sympathique et habile, où il s’agit de sourire plus que de rire et dans laquelle perce souvent une substance dramatique.
En quelques scènes, on comprend que la vie de Stefano (Valerio Mastandrea) a viré au pathétique. À 35 ans, il joue dans un groupe de jeunots devant une salle clairsemée. Son sommeil n’est pas de première qualité : il dort sur le canapé d’un studio d’enregistrement ou bien dans sa bagnole déglinguée. Et, le moins que l’on puisse dire, sa vie sentimentale n’est pas tout à fait épanouie. Stefano est trompé par sa fiancée, avec, on le devine, un musicien de sa connaissance. Une âme en peine errante. Intervient alors l’appel de la cerise au sirop dans les rayonnages d’un supermarché… C’est ce que produit l’entreprise familiale de papa, reprise par frérot. En route !
À l’arrivée aux abords de la maison familiale, la voiture cahote sérieusement. Panne ? Non, des ralentisseurs sur la chaussée : attention terrain minée. Les embrassades sont chaleureuses, mais la réalité ne tarde pas à émerger. Chaque membre de la famille a développé sa lubie et sa bulle étanche. Remis d’un infarctus, le papa retraité se consacre au golf. Maman s’est lancée dans le développement personnel en assistant à des voyages intérieurs chamaniques. La petite sœur, Michela (Anita Caprioli), a abandonné ses études pour s’adonner à sa passion pour les dauphins. Alberto (Giuseppe Battiston), le frère, est un cas particulièrement lourd. La faillite est totale, aussi bien son couple que la fabrique de cerises au sirop. Pèse sur ses épaules le poids de la reproduction familiale, tout le contraire de Stefano parti depuis longtemps mener égoïstement sa vie dissolue de petite star du punk-rock indépendant à Rome. Le regard distancié et décentré de ce dernier lui confère une sorte de lucidité : à la fois partie prenante et observateur des désordres familiaux.
Même si le contexte politique est maintenu hors-champ, il s’agit bien d’un portrait d’une Italie berlusconisée dépressive (pays qui s’apprête néanmoins à en reprendre une troisième tournée). Et s’il n’est pas question de comparer la portée et l’ambition des deux films, le frère est une sorte de cousin de Paolo, le personnage principal du dernier film de Nanni Moretti : Le Caïman (2006). Totalement largué et au bout du rouleau, l’armoire remplie de psychotropes, Alberto rétorque pourtant à Stefano : « il y a des gens qui travaillent. » Besoin d’être et d’exister, par le travail, puissante force normative et aliénante. Tout comme Paolo acceptant de la jeune réalisatrice le scénario du Caïman, sans en lire la moindre ligne.
Le traitement musical donne au film l’aspect versatile du dépressif par le biais d’une alternance entre exaltation rock et mélancolie des notes de piano de Chopin. Gianni Zanasi adopte pour le reste une mise en scène faite de simplicité, avec laquelle il ne cherche pas à provoquer un rire forcé. Entre famille, crise existentielle et secrets enfouis, Ciao Stefano est une variation plutôt habile sur des sujets éculés, ne tombant pas dans la plupart des écueils du genre. Par son ton particulier, féroce et tendre, pessimiste et optimiste, évitant l’hystérie dans le rire ou la tristesse qui a pour habitude de s’inviter dans son genre de contexte, dans la comédie italienne qui plus est. Et pourtant on s’y suicide et on saute aussi par les fenêtres. Ciao Stefano s’avère donc tout à fait fréquentable. Et Stefano dans tout ça ? « Qu’est-ce que tu fais ici ? » lui demande son père au terme du film. Le personnage ne change pas de route, il s’arrête juste sur le chemin de son existence qui reprend après cette parenthèse aussi désenchantée que salvatrice. Reculer pour mieux sauter, plus persuadé et convaincu que jamais, c’est ce que nous dit le dernier plan.