En 1989, il y avait en Roumanie 400 salles de cinéma. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 30. Un chiffre effarant, sans doute voué à diminuer encore, mais auquel ce documentaire n’apporte pas réellement d’explication. Car ce n’est pas son sujet : Cinéma mon amour s’intéresse surtout, comme le dit joliment son pitch, à une histoire personnelle (« une histoire d’amitié, de solitude, d’espoir et de rêves non aboutis ») et à un homme, Victor Purice, dont l’espoir, le rêve, est justement de sauver sa salle de cinéma. Victor Purice aurait pu être tout aussi bien vendeur de hot-dogs à la sauvette ou manutentionnaire chez Whirlpool : avec son charisme attachant, il emporte immédiatement l’adhésion.
« Moi comme un fou, je reste là », rigole Victor Purice. De la folie, il y en a, oui, à s’acharner à faire vivre une salle de cinéma qui n’attire plus que quelques adolescents en mal de s’embrasser au chaud. Le décor est planté dès les premières minutes : plans sur le hall d’entrée du cinéma vide, suivis d’une scène où Victor Purice joue au ping-pong dans ce même hall. Les employés attendent, mais le spectateur n’est pas au rendez-vous. Cette salle est si belle pourtant, typique des grands cinémas à l’ancienne aux fauteuils de velours délicieusement inconfortables, son grand rideau rouge et son estrade — et quelques photographies pornographiques dans la salle de projection pour faire bonne mesure. Mais les vieilles affiches de Speed ou Gladiator dans le bureau de Victor Purice sont là pour nous rappeler que le bon temps est bien fini. « La nostalgie n’est plus ce qu’elle était », aurait répliqué Simone Signoret.
Roumanie, mon amour
Cinéma mon amour parle d’une génération qui se meurt, mais c’est en filigrane la Roumanie toute entière qui semble y participer. Le documentariste se limite au décor de la salle de cinéma (sauf pour deux incartades en Allemagne et dans les bureaux de l’administration roumaine), mais on comprend vite que celle-ci est un décor symbole. La conversation Skype de Victor Purice est interrompue par des problèmes de connexion ; son téléphone paraît d’un autre âge ; l’absence de chauffage dans la salle de cinéma oblige les employés à distribuer des couvertures à ses spectateurs ; Victor et ses collègues improvisent un maigre pique-nique/déjeuner dans la rue, devant la salle. Tristesse infinie d’un pays à qui on a refusé l’entrée au XXIe siècle, mais aussi regard affectueux posé sur ce temps arrêté dans une époque indéterminée comme dans le beau film de Giuseppe Tornatore, Cinema Paradiso, auquel on ne peut s’empêcher de penser.
Le héros ordinaire
Le travail d’un documentariste est d’autant plus réussi que son « casting » l’est. On affirmerait même qu’il en dépend tout autant qu’un réalisateur de fiction. Avec Victor Purice, Alexandru Belc a trouvé son sujet, non pas le cinéma, ni tout à fait la Roumanie, mais le héros ordinaire que nous voudrions tous être : celui qui se bat pour de justes causes, qui prend les problèmes les plus insolubles à bras le corps (ainsi de ce joli moment où Victor Purice repeint lui-même sa façade en y dessinant le signe « cinéma »), mais reste un grand sentimental, tendre avec ses employés, ému lorsque sa salle redevient pour un jour enfin pleine. Cinéma mon amour ne se défend pas d’être un brin élégiaque : le spectateur est sommé d’épouser sa cause, et le fait sans déplaisir. Pour Victor Purice en effet, « le cinéma est un droit social ». Et nous n’allons tout de même pas le contredire.