On imagine combien l’exercice du premier long-métrage peut s’avérer frustrant. Car derrière la simplicité des moyens, limité par la frugalité des conditions de production, se cache l’envie d’en découdre, et de faire feu de tout bois quitte à ignorer les consignes de prudence. À ce titre, Compte tes blessures souffre un peu du même contraste que son protagoniste, forcé par un père écrasant d’exprimer tout ce qu’il voudrait dire en un minimum de temps, pendant ses concerts de post-hardcore. Car de même que Vincent abîme sa trachée au mépris de son patrimoine vocal, Morgan Simon, que l’on devine pressé d’en finir avec une histoire qu’il promène depuis maintenant plusieurs années (le film découle d’Essaie de mourir jeune, court métrage sorti en 2014), donne un peu l’impression d’avoir précipité les événements.
Ce n’est donc pas malhonnête de la part de ce long-métrage que d’assumer dès son titre sa dette envers ce genre musical (« Compte tes blessures » est une référence au groupe Bring Me The Horizon). Même si, dérivé de hard-rock consistant à hurler un texte concis en se livrant à des gesticulations, le style contraste rapidement avec la tournure globale d’un film beaucoup moins do it yourself qu’il n’en à l’air. La faute – parce que cela finit quand même par poser problème – à un scénario encombrant, que ni l’auteur ni les trois bons acteurs (Kévin Azaïs, décidément abonné aux premiers films, Monia Chokri, aperçue chez Dolan, et Nathan Willcocks, un inconnu prometteur) ne semblent en mesure de dominer pour le bien du film. D’où, à l’arrivée, le sentiment que rien ne circule entre ce fils, son père, et l’amante de celui-ci (une caissière entre deux âges), sinon les didascalies indiquant la façon de jouer, tantôt rendues visibles par un regard trop appuyé, tantôt par l’artificialité des engueulades – lesquelles s’enchaînent comme des épisodes, sans qu’un se détache plus que l’autre.
Indécence mitigée, et archétypes en quête de personnages
Peinant à donner aux personnages le minimum de crédibilité requis, Compte tes blessures se condamne vite à enregistrer la performance un peu cabotine de comédiens prêts à tous les excès pour donner vie à des archétypes. Ainsi de ce père un peu rugueux, qui en dépit d’une solide prestation de Nathan Willcocks, semble continuellement chercher de quoi justifier ses coups de sang. Pour Vincent, le problème est indirect : de loin le plus aimé, sans cesse couvé du regard comme une vestale de marbre, le film n’a d’yeux que pour lui. Au point de négliger les autres personnages, à commencer par cette caissière indécise, que nous serions bien en peine de décrire tant sa partition la cantonne à un petit rôle d’observatrice médusée.
L’ensemble s’expose ainsi à une beauferie un peu ringarde, quand par contraste avec ces beaux mâles pleins de cicatrices, la légèreté de Julia (c’est son prénom) ne cesse de la renvoyer à son statut de girouette écervelée, sur l’air bien connu du « toutes les mêmes ». D’autant que la demoiselle, corvéable à merci et rivée d’emblée à sa fonction d’élément déclencheur, finit par entraîner la petite mécanique du récit dans un hasard qui fait un peu tache, au milieu des mille précautions prises par un scénario très conscient de ses effets. Si bien qu’à l’instant de céder aux avances de Vincent sous les yeux du père, le coup de théâtre œdipien semble gouverné par un arbitraire qui n’a plus rien pour surprendre. C’était pourtant l’occasion idéale de prouver qu’une idée de papier pouvait cacher un vrai désir d’indécence. Mais incapable de sceller le destin de ses deux coqs sans reléguer sa tierce personne à un rang de trait d’union, Morgan Simon bâcle sa copie – et ne relève le défi qu’à moitié.