« Go away, go away… » répète la chanson « She Was » de Camille, qui constitue l’un des rares points de repère autour desquels s’agencent les fragments de la vie de Sissi, célèbre impératrice autrichienne de la fin du XIXe siècle. Au-delà de dépoussiérer la figure jadis incarnée par Romy Schneider, Marie Kreutzer cherche à révéler le vernis craquelé d’une aristocratie à bout de souffle et confrontée à l’impasse d’un mode de vie en total décalage avec son époque. L’intérêt de cette nouvelle lecture tient ainsi dans le portrait d’une Sissi empoisonnée par sa nostalgie et qui ne semble jamais appartenir vraiment au monde qu’elle traverse. Cette inadéquation est d’ailleurs formalisée par la multiplication d’anachronismes, certes plus discrets que les fameuses Converses de Marie-Antoinette, mais qui surprennent toutefois (la scène finale, qui se déroule à bord d’un bateau moderne flambant neuf, l’interprétation d’une chanson des Rolling Stones à la harpe, etc.). Tout en conservant une structure linéaire, le film effectue sans cesse des sauts temporels plus ou moins longs, sans nécessairement les expliciter : c’est au fond comme si, dans la vie de Sissi, les grands événements de son histoire, relégués hors champ, ne comptaient pas vraiment pour cerner les contours du personnage. En cela, Corsage constituerait presque le miroir de la trilogie d’Ernst Marischka, en remplissant les trous de la grande reconstitution fantasmée. La proximité qu’entretient le film avec son personnage renforce davantage encore ce sentiment : la propension de l’Impératrice à se bander les yeux témoigne d’un aveuglement que le film épouse à son tour – on assiste de fait davantage au récit que Sissi se fait de sa propre vie.
À un jeune Anglais qui lui propose de la filmer avec un dispositif de son invention – une forme de proto-cinématographe, vingt ans avant son invention –, elle confie ne pas avoir confiance en la photographie, qui n’est selon elle qu’un mensonge incapable de reproduire la réalité. Ce n’est que devant l’étrange appareil cinématographique que Sissi semble s’épanouir, profitant de séances muettes pour s’agiter et crier son désespoir sourd. Quel dommage, ceci dit, que la réalisatrice n’explore pas davantage le trouble suscité par cette mise en abyme et limite ces scènes à de simples parenthèses, sans interroger plus longuement le rapport de Sissi à sa propre image. Insistant sur le décalage de l’héroïne avec son environnement cadenassé, la mise en scène s’articule davantage autour d’effets plus ou moins heureux – par exemple, lorsqu’elle filme Sissi debout sur une table dans un décor miniature, sa tête touchant le plafond – pour illustrer sa sensation d’emprisonnement. Ces artifices s’inscrivent malheureusement dans une série d’afféteries (le grain appuyé de la pellicule, la caméra portée ou la faible profondeur de champ utilisée tout le long du film) qui, passé quelques cocasses ralentis sur les lévriers royaux, semblent appliquer un autre vernis à la figure historique : celui de la relecture pop d’une icône limitée à son simple « paraître ».