Le cinéma, on le sait, crée du mythe. Avec le sous-genre du film de danse, il va même plus loin, et crée une créature mythologique bien digne du Bestiaire : la jolie-fille-qui-en-chie-grave-mais-qui-veut-et-va-s’en-sortir-par-la-danse. Personnage connu, genre balisé – et en plus, c’est mal filmé !
Raindrops keep falling on my head
Lauryn Kirk est une jeune fille pour qui tout n’a pas été rose. Fille d’une danseuse émérite (elle a été dans la feuille-de-chou de son ploucville local, dites!) et d’un père qu’elle a vu mourir sous ses yeux (parce qu’elle était restée danser avec ses amis plutôt que de rentrer comme il le lui avait demandé, elle n’a pas pu réagir assez vite à son attaque cardiaque – ne riez pas, c’est symbolique, tout ça…), elle ne rêve que de danser. Lorsqu’elle se présente à l’école de danse de Chicago, et se fait renvoyer en quelques instants, va-t-elle devoir choisir de retourner à son job de comptable dans le garage auto que leur père a laissé, à son frère et à elle ?
See that girl, watch that scene, dig in the Dancing Queen
Non, évidemment. Car au moment où, sous des rideaux de pluie, sa voiture est enlevée par la fourrière, la belle se voit proposer par une jeune femme qu’elle vient de rencontrer à la fois un appart et un job – c’est pratique, et ça fait avancer le scénar. Mais parviendra-t-elle à s’imposer sur la scène de danse locale, et à sortir de l’ombre de son père ?
Moi, je vous le dis, un script pareil, c’est digne de Charles Dickens (mais si, vous savez bien, son livre sur la danse dans les années 1950, Oliver twiste…). Du Dickens donc, moins le talent de conteur, moins l’humanité des portraits… Pas Dickens du tout, en fait – même si Dancing Girls entend mettre l’emphase sur la force de caractère qu’il faut pour triompher dans la situation de notre mignonne petite Lauryn. Admettons que le « film de danse » soit un genre bien codifié, que nous ne soyons pas là pour autre chose que des numéros chorégraphiques et des morceaux musicaux estampillés tubes. Mais là encore, pour ses deux aspects, Dancing Girls peine à tenir son cahier des charges.
This is NOT a love song !
Rien à retirer, donc, de ce Dancing Girls, sinon quelques moments de rigolade narquoise : les séquences de danse de Mary Elizabeth Winstead (qu’on préférait franchement dans Boulevard de la mort), au montage ultracut pour ne pas montrer que la belle n’est pas vraiment capable d’aligner avec grâce deux pas de danse ; les séquences de danse où la belle se fait ostensiblement doubler par une véritable danseuse, et où elle revêt donc un capuchon à la Eminem pour éviter que cela ne se voie ; le fil blanc, format corde de marine, dont est cousu le « scénario» ; même le générique, long d’un peu plus de dix minutes pour parvenir à l’heure et demie traditionnelle, ou encore l’affiche qui copie allègrement celle de Sexy Dance 2 (un autre chef-d’œuvre du genre) et évoquant même des séquences qui n’interviennent pas dans le film…
Mais le meilleur reste à tout prendre le titre même du film : Dancing Girls en V.F. nous vient de Make It Happen (« Fais ce qu’il faut pour que ça arrive ») en V.O. Sauf que les distributeurs de chez nous ont bien compris que le maigre argument dont se prévaut le titre U.S., tout le monde – équipe du film comprise – s’en moque éperdument : on est là pour voir des filles, dansant passablement dénudées de préférence. Merci pour la leçon de cynisme, ô gens de la distribution !