Rapporté de Sundance 2014 dans les bagages du distributeur Happiness, Dear White People se présente a priori comme un choix risqué. Si les références à la culture afro-américaine qui en constituent le cœur nous sont familières pour la plupart, Prince de Bel-Air en tête, reste qu’un certain nombre d’autres, du South Side de Chicago au tabou constitué par le mot nigger, viennent sans décodeur et se donnent à l’étendue de notre curiosité. Un de ses sujets même, le communautarisme, marque de son empreinte sociopolitique le discours du film. Il déborde toutefois ces particularismes dans sa simplicité, interrogeant l’identité afro-américaine et, surtout, sa représentation cinématographique – de façon aussi directe que l’interjection qui lui donne son titre.
C’est aussi celle d’une émission de radio, celle que Sam tient sur le campus d’une ivy league school, depuis la résidence étudiante noire dont elle défend le maintien. Des références cinématographique qui affluent dans Dear White People, la plus évidente est cette voix qui plane via une radio et rappelle celle qu’animait le personnage de Samuel L. Jackson dans Do the Right Thing. Loin de la moiteur du Brooklyn estival, Dear White People choisit lui aussi l’unité de lieu en s’immisçant dans la longue lignée des films de campus américains, qui cristallisent souvent dans leur réalisme social les tensions d’une société à un moment donné – ici, les États-Unis d’Obama. Quant à la voix que porte cette radio, elle est vindicative et, régulièrement, donne en off l’écho de l’énergie contestataire du film.
Parce que nous sommes à l’université, l’essentiel de l’interrogation mise en place sur l’identité afro-américaine, tournée en dérision autant que le racisme qui est la première cible du film, porte avant tout sur le rapport à la culture. L’audace du film est de se moquer de tout cela, d’embrasser les codes qu’il dénonce comme des clichés : un peu à la façon de son personnage Troy, qui se cache de sa copine blanche dans les toilettes pour écrire des blagues et fumer de l’herbe… Dans un même élan, le film adopte la dynamique de la sitcom, construisant les trajectoires parallèles de ses personnages autour d’un noyau commun.
Based on true events
Inspiré de faits réels, en tout cas du climat nauséabond qui semble régner dans les fêtes des résidences des grandes universités américaines (le générique de fin, dans une traditionnelle mise à plat de la fiction sur le réel, déroule les références et extraits d’articles de presse sur des scandales du type de celui qui fait son anecdote), Dear White People s’extraie de ce noyau véridique (une soirée d’Halloween organisée essentiellement par des Blancs avec pour thème : libérez le nègre en vous…) pour tisser une galerie de personnages noirs représentant chacun une posture face au racisme. L’explication de texte, donnée par Sam, se résume en chacune de ces trois postures : assimilation, rébellion, soumission ; cristallisées non seulement autour de l’organisation de cette fête, mais aussi de celle de la vie sur le campus, un peu lourdement symbolisée par la présence de deux adultes à l’horizon : le président de l’université et son doyen, l’un Noir l’autre Blanc, eux-mêmes anciens élèves et pères de deux protagonistes – comme pour souligner le fait que ces questions ne sont que l’héritage des luttes passées.
Portrait satirique d’une jeunesse lasse de la position sociale qu’elle a hérité de ses pères, Dear White People adopte avant tout un ton joueur et humoristique, dont une des finalités principales et explicites est de mettre en scène et de montrer des visages noirs, souvent filmés en contre-plongées, cadrés à l’écart du centre de gravité de l’écran, afin que la singularité de la chose soit d’autant plus soulignée. Dans son rapport à chacun de ses personnages, le film adopte une attention proche de celle du stand-up : il n’est pas rare que, dans une scène de dialogue, le contre-champ se fasse non pas sur l’interlocuteur de l’orateur, mais bien sur l’assemblée attentive (le groupe d’amis qui écoute, rit, approuve). Cette énergie, qui repose principalement sur la vanne et la tchatche, fait du jeu sur les clichés la réponse absurde et drôle aux insupportables tensions raciales. Derrière son indéniable vigilance politique et sociale au racisme, Justin Simien fait le choix du rire, se jouant de la culture et des stéréotypes d’une société dont il se moque pour mieux en souligner l’ambivalence.