Sixième long métrage du réalisateur burkinabé S. Pierre Yaméogo, Delwende s’empare avec brio du sujet des « mangeuses d’âmes », ces femmes accusées de sorcellerie et chassées de leur village. De la campagne où subsiste cette coutume d’un autre âge à la capitale où les conditions de vie sont rudes, le cinéaste œuvre pour l’évolution de son pays.
En mooré (la langue majoritaire du Burkina Faso), « Delwende » signifie « remets-t-en à Dieu », « adosse-toi à Dieu ». Parce que c’est tout ce qu’il reste à faire aux femmes qu’on a chassées de leur village, accusées de sorcellerie parce qu’il faut bien trouver un coupable à des morts inexpliquées ou des sécheresses persistantes. C’est ce qui arrive à Napoko. Depuis quelque temps dans son village, les enfants meurent les uns après les autres, de manière inexpliquée. Le spectateur, lui, sait pourquoi ; Élie, l’un des personnages, aussi. Mais dans le village de Napoko, les coutumes ont la vie rude, et sont bien pratiques pour régler ses comptes. Pougbila, la fille de Napoko, a confié à sa mère qu’elle a été victime d’un viol, sans lui dire qui en était le responsable. Mais Napoko ne tardera pas à le savoir et devient donc gênante. Montrée du doigt comme la seule responsable des morts en série, elle est bannie du village.
S. Pierre Yaméogo suit alors son errance dans les campagnes jusqu’à Ouagadougou, la capitale. Au fil du trajet de Napoko, le réalisateur distille les différentes réactions sur le sort réservé à la jeune fille. Son oncle, dans un village voisin, tente de croire en son innocence, mais la soumet à un test d’un autre âge pour la juger. Napoko est de nouveau bannie. De village en village, son image de sorcière reste accrochée à elle.
Les femmes changeront le monde…
C’est en tout cas à travers elles que le cinéaste montre la voie du changement. « Lève-toi et marche », le sous-titre du film, est à cet égard sans équivoque. Marcher jusqu’à sa mère, c’est ce que décide de faire Pougbila. Éloignée du village après son viol pour être mariée à un cousin, elle finit par découvrir la situation et part à la recherche de Napoko. La caméra de Yaméogo la suit au plus près, déterminée et énergique, seule contre tous. En de longs travellings dans les rues de la capitale, toute la force du personnage, sa beauté, son ancrage dans la modernité se transmettent à l’écran.
Arrivée dans la capitale, c’est une deuxième surprise pour le spectateur ; jusqu’au moment où Pougbila la retrouve, on ne savait pas où avait échoué Napoko. Il s’agit en fait d’un centre où sont recueillies toutes les femmes dans le même cas. On pourrait s’attendre à les voir protégées, remises sur le chemin de l’intégration, mais ce n’est pas le cas. Yaméogo a pris le parti de coller au plus près de la réalité, plutôt triste à voir. Son parti pris scénaristique et esthétique ne verse jamais dans le misérabilisme ; on sent la fibre documentaire derrière, et c’est d’ailleurs bien le cas puisque le réalisateur a tourné un sujet pour le magazine Envoyé spécial en 2001, lorsqu’il a pris connaissance de la situation de celles qu’on appelle les « mangeuses d’âmes ». Dans le centre des exclues, tout est sombre, sale. Entassées les unes sur les autres, les femmes ne reçoivent souvent qu’un repas par jour, et sont montrées du doigt dès qu’elles franchissent le mur les séparant de l’extérieur. Mais S. Pierre Yaméogo ne force en aucun cas l’émotion. L’important, dans son regard, est de suivre Pougbila au plus près, de nous amener avec elle dans la recherche de sa mère. Car Pougbila est bien déterminée à la ramener au village et à faire éclater la vérité. Elle y réussira.
Delwende, finalement, nous parle d’espoir. S. Pierre Yaméogo aurait pu en faire un film très sombre, mettant en scène le meurtre d’une « sorcière ». Ce n’est pas le cas, puisqu’il n’a pas opté pour le drame. Il montre juste avec une féroce précision l’absurdité de cette pratique. Absurdité qui est renforcé par Élie, le personnage du « fou », celui qui détient en fait la vérité. Dès lors, le parti pris esthétique se trouve renforcé. Le travail sur les couleurs et la lumière du chef opérateur, Jürg Hassler, qui commence à bien connaître les tonalités du continent noir pour y avoir longtemps travaillé, est splendide. Avec la musique de Wasis Diop pour couvrir la bêtise de l’existence même des « mangeuses d’âmes », le spectateur est emmené au-delà, vers ceux qui font bouger l’Afrique. Pour montrer toute la beauté et la richesse de l’Afrique derrière une coutume à abolir, il fallait garder à l’esprit les potentialités naturelles et humaines du Burkina Faso et les restituer à l’image. Pari réussi ; on sort de Delwende à la fois sensibilisés sur des pratiques inconnues dans l’actuel Occident, et remplis de la force de l’Afrique, de ses paysages et de ses habitants. Gageons que le cinéma africain, si rare en France dans les circuits traditionnels, saura attirer de plus en plus de spectateurs.