Beaucoup d’étrangers l’ignorent, mais les Islandais tirent une grande fierté de leurs chevaux. Outre que l’espèce compte parmi les meilleurs amis de l’homme, ceux-là sont d’un pedigree particulier soigneusement entretenu depuis le Moyen Âge, ce qui en fait un symbole de la politique de préservation culturelle menée de longue date par ce pays insulaire – non par le rejet de l’influence étrangère, mais par une mesure attentive de l’intégration de celle-ci à la culture nationale, notamment concernant la langue et jusqu’au choix des prénoms des nouveaux-nés. Aussi, quand Benedikt Erlingsson prétend consacrer son premier long métrage aux relations entre ce peuple et ses chevaux, il s’agit, on s’en doute, d’un prétexte pour croquer les hommes avant tout (même si les équidés sont aimablement cités au générique sur un pied d’égalité avec les comédiens). Des chevaux et des hommes (traduction un peu rapide d’un titre original signifiant plutôt « Le cheval qui est en nous ») conte plusieurs histoires ayant lieu dans le même voisinage, fatalement appelées à s’entrecroiser et réunissant plusieurs thèmes familiers à la société islandaise, avec l’animal pour témoin et/ou acteur : leur relation avec l’alcool, leur relation avec une nature rude, leurs relations entre voisins… Le tout, prenant plaisir à alterner les tons (comédie enjouée ou noire, drame parfois sanglant…), forme un kaléidoscope coloré par le plaisir de la bifurcation et du portrait entre aimable caricature et fiction plus sérieuse.
C’est tout à l’honneur du scénariste-réalisateur de ne pas avoir, dans cette multiplicité d’histoires et de tons, imposé un ton sur les autres ni s’être complu dans une virtuosité narrative. Il n’empêche que dans sa modestie, Des chevaux et des hommes n’offre guère qu’une compilation d’anecdotes où la finesse de l’observation sociologique se dilue dans des caractéristiques moins dignes d’intérêt : le caractère édifiant de la fable, le pittoresque du contexte, une certaine connivence avec les travers des compatriotes, la curiosité suscitée sur l’intervention du cheval dans chaque histoire. En vérité, s’il y a ici un élément cinématographique qui se détache pour offrir au film un témoignage intéressant, c’est moins les chevaux et les hommes que leur arrière-plan : l’espace. Les paysages diurnes islandais, uniformes jusqu’à diviser l’écran en un constant clair-obscur horizontal, comme un western aux couleurs ternes, délimitent un espace clos à ciel ouvert où, pour échapper à la monotonie, il faut guetter les petits détails. Et on ne s’étonne guère qu’en son sein, les habitants, clairsemés et pourtant voisins, s’observent mutuellement et se complaisent dans le voyeurisme auquel le terrain les invite. Cela est utilisé à son meilleur escient dans la trame principale qui rassemble les autres : un homme et une femme se désirent l’un l’autre, mais mettront quelque temps à l’assumer ; leurs chevaux, moins timides, se livreront à une acrobatie aussi cocasse qu’humiliante pour un des propriétaires (elle est sur l’affiche du film) ; et tout cela aux yeux de la vallée entière, où il vaut décidément mieux se calfeutrer – ou se mettre véritablement à l’écart du monde – pour espérer avoir une vie intime. De quoi prouver que l’Islande mérite mieux qu’un portrait par la lorgnette du pittoresque, si sympathique soit-il.