Bruce Willis, 57 ans bien tassés, n’a plus la pêche de ses jeunes années. Finis, les pieds nus dans le verre pilé, finies, les courses échevelées à travers New York – il est temps de passer le relais à la génération suivante. On le comprend : tout cela fatigue un peu, autant l’homme lui-même que son public de la nouvelle génération, pour qui il n’est peut-être plus l’acteur culte des années 1980 – 1990. Sic transit… etc. Pour autant, on aurait aimé que le chant du cygne de John McClane ait un peu plus de lustre. On nous annonce déjà un Die Hard 6 – au vu du 5, pas sûr que ce soit une bonne nouvelle.
À l’aube de la soixantaine, John McClane trouve, enfin, la fibre paternelle. Sa fille vole déjà de ses propres ailes, et entretient avec lui des relations tendres mais un peu gênées, un peu comme avec un ancêtre qu’on a honte de montrer. Cet ancêtre-là a tendance à coûter des millions aux contribuables américains à chacune de ses sorties : on comprend que cela inquiète la jeune femme. Alors, lorsque McClane apprend que son fils, dont il n’est pas proche du tout, est jugé pour meurtre dans un tribunal russe, le voilà qui décide de prendre les choses en main : direction la Russie. Miss McClane junior et le contribuable sont rassurés : l’ancêtre va aller casser des trucs chez la Nemesis de l’autre côté du monde.
Même pour casser des trucs, McClane va avoir besoin d’un coup de main. Heureusement, une collusion politico-mafio-judiciaire répugnante (tout de même, quels monstres infréquentables que ces Russes ! On est beaucoup mieux sous la bannière étoilée !) s’y met. Les uns trompent les autres, qui en trahissent d’autres encore, tout en disant la vérité une fois ou deux pour noyer le poisson. McClane père et fils vont être baladés par le bout du nez tout au long du film, et, pour passer leur frustration de ne rien comprendre, vont défourailler à l’arme lourde. Ça a l’air de marcher, pourquoi s’en priver ?
Parfois, il faut faire une pause, par exemple pour lancer des phrases iconiques destinées à marquer la culture populaire. Dans Une belle journée pour mourir, on entendra ainsi John McClane lâcher le plus souvent possible : « bordel, je suis en vacances ! ». Et là, celles et ceux qui suivent lèvent la main : oui, oui, vous avez raison, il est venu en Russie pour sauver son gamin d’une condamnation à perpète (voire pire, on ne sait jamais avec ces Russes !), pas en vacances. Mais ce n’est pas grave, c’est censé être drôle, pas grave si c’est con. Pour s’assurer qu’on a bien ri, et bien entendu, de nous la servir à foison, assortie de l’attendu « Yippee-ki-yay », tellement peu spontané qu’on a envie de se cacher sous son siège.
Côté réalisation, John Moore semble avoir regardé avec application la saga 24h, qui ne se sent plus de joie lors des scènes d’action : épicée de zooms multiples destinés à bien souligner l’action (ça ne marche pas), l’image en caméra portée tremblotante se calme parfois, pour laisser le temps aux McClane de rattraper le temps perdu. Des violons verlainiens soulignent alors les déclarations d’amour familiales au cadre figé, pour bien nous faire ressentir l’instant. Pour qui était sorti de derrière son fauteuil, il est temps d’y retourner.
Pataud et dénué de toute logique narrative, Une belle journée pour mourir réussit l’exploit de faire regretter l’épisode précédent, qui avait déjà largement œuvré pour décrédibiliser la saga. Si, formellement, les deux films se valent dans leur médiocrité, au moins le précédent s’était-il abstenu de faire preuve de l’imbécillité consternante de ce nouvel épisode. Voir, pour s’en convaincre, comment la Russie est décrite : d’une part, des industriels véreux ayant pignon sur rue dans une société corrompue de toute part, d’autre part, un pays que l’on résume à deux villes : Moscou (que l’on reconnaît au Kremlin) et… Tchernobyl. On ne peut s’empêcher de penser au simplisme crétinoïde d’une autre saga de blockbusters, les Transformers, eux aussi prompts à réduire les pays étrangers aux États-Unis à l’état de carte postale. Dans les deux cas, il faudra l’intervention de héros américains sans peur pour sauver le monde.
On croyait en avoir fini avec la guerre froide cinématographique après les années 1980 – 90, où des chefs‑d’œuvre absolus tels que Delta Force (1986) et Navy Seals (1990) donnaient le ton d’une production cinématographique ethnocentrée arrogante et réac. Non seulement Die Hard 5 commet l’immense faute intellectuelle de ressusciter ce discours, mais il le fait en tournant le dos à tout ce que John McTiernan (et, dans une moindre mesure, Renny Harlin dans le 2) avaient accompli pour donner, formellement, une légitimité réelle au film d’action. C’est l’heure de la retraite pour John McClane.