Annoncé par les prophéties bibliques, l’Antéchrist prend les traits d’un charmant bambin, confié à l’attaché d’ambassade des États-Unis. Entre une mère qui sombre dans la folie et un père incrédule, le Diable fait un brillant retour sur les écrans avec ce remake brillant et respectueux du matériau originel.
Les films qui peuvent de façon crédible se servir de leur date de sortie pour leur promotion ne sont pas légion, et si 1984, sorti cette même année, offrait un miroir à peine déformant aux années Thatcher en Angleterre, la sortie de La Malédiction le 6/06/06 peut prêter à sourire. Que peut-on attendre d’un film sorti sous une telle promotion, surtout lorsqu’il s’agit du remake d’un des chefs d’œuvre les plus marquants des années 1970 ?
La trilogie de La Malédiction, première du nom, est avec L’Exorciste et Rosemary’s Baby un des films fantastiques majeurs de la thématique sataniste dans les années 1970. La terrible saga de Damien Thorn a bouleversé l’image de l’enfance, avec une société humaine incapable d’outrepasser les tabous du respect de l’innocence des enfants. Déjà approchée, notamment, dans Les Innocents et Le Village des damnés, la thématique de la perversion de l’innocence traumatisait définitivement les spectateurs avec cette image du gamin joufflu et mignon à croquer, et à l’âme noire comme la nuit, n’hésitant pas à tuer ses proches pour amener la fin des temps. C’était le temps d’un fantastique sérieux et brutal, où Le Retour des morts-vivants, Scream ou Scary Movie n’avaient pas encore ajouté une distance narquoise au regard des spectateurs. La Malédiction de Richard Donner a donné au fantastique des scènes devenues mythiques, avec notamment la mort d’un des personnages, scène longtemps considérée comme la décapitation la plus impressionnante vue au cinéma.
Venir après un tel monument est difficile. S’il s’agit, en plus, de faire un remake sans âme destiné à promouvoir la vente du pop-corn, alors à quoi bon ? Fort heureusement, La Malédiction parvient à se démarquer des inutiles remakes commerciaux à la Fog ou racistes à la Dark Water. Le film choisit de développer son scénario à notre époque, interprétant à sa manière les signes annonciateurs de l’apocalypse, changeant les rapports de force dans la famille Thorn, plus en accord avec l’évolution des mentalités. L’aspect religieux chrétien, pourtant censément omniprésent, est traité – au départ – avec la condescendance propre à notre époque, et non plus avec le sérieux de la première version. Tous ces subtils changements permettent une identification plus efficace, rendant le propos plus crédible.
La crédibilité est ici un maître mot : les morts qui entourent le chemin de Damien sont des plus graphiques, et la mise en scène, sans être complaisante, n’épargne rien au spectateur. Les tabous ont changé depuis l’époque du premier film, il n’est désormais plus question de s’en tirer avec des sous-entendus visuels. Sans presque recourir aux effets spéciaux, la mise en scène de John Moore se charge seule de rendre ces morts brutales, efficaces et – pour l’une d’entre elles, au moins – passablement traumatisantes. Mais la plus grande terreur de ce film « à l’ancienne » reste Damien lui-même, interprété par un Seamus Davey-Fitzpatrick boudeur. Le jeu de l’enfant n’étant guère propice à inspirer sans équivoque le démon qui est en lui, c’est avant tout une affaire de rythme et de mise en scène qui rend la petite silhouette si inquiétante et si crédible. La progression du scénario est elle aussi placée sous le signe d’un sérieux solide : l’enquête passablement linéaire progresse lentement, en envoûtant doucement un spectateur qui aura été frustré d’un tel plaisir dans le récent et creux Da Vinci Code. La photographie suit la plongée du père de l’enfant dans les ténèbres, en se focalisant graduellement de plus en plus sur des couleurs ambrées et sombres, toujours plus oppressantes et baroques.
Éloigné des films fantastiques à grand spectacle, La Malédiction est l’œuvre d’un cinéaste qui connaît manifestement ses classiques, et joue avec bonheur des codes du fantastique traditionnel. Ses tentatives de réactualisation des scènes cultes du film original sont globalement réussies, avec une mention spéciale pour les chiens méphistophéliques qui parsèment le film, et pour celle, attendue des fantasticophiles nostalgiques, de la terrible mort par décapitation. Le film serait une véritable révélation, si ce n’était pour deux aspects, qui forcent à mettre un bémol à l’appréciation de l’œuvre. Les scènes cauchemardesques qui hantent les parents de Damien sont fort peu convaincantes, appuyées notamment par des effets sonores terriblement caricaturaux : leurs apparitions brisent parfois le rythme et la tension croissante du film. Les acteurs des parents de Damien – Liev Schreiber dans le rôle du père, et particulièrement sa compagne Julia Stiles – semblent pâles et peu convaincus, surtout lorsqu’ils sont comparés aux compositions très solides de Peter Postlethwaite, et surtout à celle de Mia Farrow. L’ancienne égérie de Roman Polanski compose une nurse satanique toute en nuances, angoissante et perfide. C’est un plaisir de cinéphile que de voir celle qui donna naissance au démon de Rosemary’s Baby assurer aux parents de l’Antéchrist que « cela fait 40 ans qu’[elle] élève des enfants… »
La plus belle part du film tient à cette cinéphilie toujours présente, la conscience que le film ne peut pas se démarquer d’une œuvre originale extrêmement codifiée. Cette Malédiction est d’une race rare de remakes : il s’agit fondamentalement du même film, et les véritables changements tiennent surtout aux repères temporels et aux ajouts que la technique actuelle peut apporter au film. Un tel respect pour le matériau d’origine peut agacer par son côté fondamentalement répétitif par rapport à l’œuvre originelle. Mais à voir ce que les libertés prises par les réalisateurs de remakes récents ont apportés aux films concernés, on ne peut que se réjouir de cet hommage fidèle et finalement humble.
Malgré quelques maladresses, dues notamment au manque d’expérience du réalisateur dans le genre, La Malédiction signe le retour d’un fantastique qui ne mise pas tout sur les effets spéciaux, et donc sur son budget. Le film distille une angoisse sourde, appuyée par la solidité d’un scénario implacable et sans compromis. Il reste à prier très fort pour que cette nouvelle version connaisse les mêmes prolongements cinématographiques que son illustre original.