Ce deuxième film du réalisateur suisse (auparavant mathématicien et dramaturge) est une véritable leçon d’économie filmée, étayée de réflexions personnelles, et qui réussit à ne jamais verser dans le manichéisme.
À l’heure où Tony Blair se rend à Washington pour tenter de convaincre George Bush d’adhérer à son « plan Marshall » pour l’Afrique (annulation de 100% de la dette bilatérale et multilatérale) avant le sommet du G8 en Écosse, le 6 juillet, voici qu’apparaît sur les écrans français Djourou, une corde à ton cou. En bambara, « djourou » signifie à la fois « dette » et « corde au cou ». Un documentaire militant de plus en faveur de l’annulation de la dette ? Peut-être, mais un documentaire très fourni et ‑précisément- documenté, évitant de la sorte tout manichéisme.
Pour cela, le réalisateur convoque d’abord l’Histoire ; en utilisant des archives d’actualités filmées, il pose le préalable indispensable pour comprendre comment le Mali en est venu à cette situation. Quelques rappels : en 1961, le socialiste Modibo Keita est porté au pouvoir d’un Mali indépendant. Alors que les colons sont partis et que l’Angleterre fête le bicentenaire de sa révolution industrielle, le Mali s’enlise dans l’âge du forgeron. En 1968, le dictateur militaire Moussa Traoré prend le pouvoir à la faveur d’un putsch. L’homme sur lequel la faute devrait ressurgir uniquement ? Dans les années soixante-dix, le Mali emprunte à tout va aux banques et institutions financières du Nord qui cherchent à placer leurs « pétrodollars », et une spirale sans fin s’amorce alors. Corruption, mauvaise gestion et détournements pèsent encore sur le Mali d’aujourd’hui. Depuis 1991, le pays a retrouvé un gouvernement démocratique avec Amadou Toumani Touré à sa tête depuis 2002, mais n’a jamais récupéré l’argent détourné par Moussa Traoré. La dette ? « Quel puissant voudrait annuler un si bel outil ? » questionne le réalisateur en voix off, « je te donne, tu me dois. »
Un adage qui prend tout son sens dans la bouche de James Wolfensohn, ex-président de la Banque mondiale, qui déclare, lors d’une conférence de presse à Manille, en mars 2000 : « Si vous avez une société basée sur l’annulation de la dette, qui investira dans la dette ? L’annuler bousillerait le marché. » Constat brutal et sans appel mis en exergue, comme d’autres, distillés au fil du commentaire. Bien que le Mali ait payé sept fois les montants empruntés, sa dette est aujourd’hui estimée à 2,7 milliards de dollars.
Filmer la dette, expliquer les rouages de la macroéconomie n’est pas a priori très cinégénique. Mais Zuchuat fait de son documentaire un véritable essai filmé à la première personne, qui prend parfois des accents méditatifs. Le réalisateur convoque ainsi Michaux ou encore Derrida (il a fait des études de lettres et de philosophie après sa formation de physicien), apportant le côté humain nécessaire pour ingurgiter une telle leçon d’économie. De même, en choisissant de dissocier les images et le son, il offre au spectateur une esthétique du quotidien au Mali tout en expliquant les rouages de cette dette qui l’étrangle. Zuchuat promène ainsi sa caméra en de nombreux plans fixes dans les rues de Bamako où fourmillent les petits commerçants (la débrouille…), ou dans les champs des campagnes maliennes : un pays qui continue de vivre malgré cette corde à son cou. Djourou est un documentaire passionnant qui possède le grand mérite de nous faire comprendre un mécanisme compliqué.