Les cinématographies peu productives — ou, du moins, peu exportées — ont toutes les chances de susciter l’intérêt à l’étranger, ne serait-ce que pour le prisme qu’elles tendent sur leurs contrées d’origine. Rien d’étonnant à ce que l’exportation même joue sur l’exotisme de cette provenance. Reste alors à savoir si l’intérêt réel dépasse le simple attrait de touriste pour des espaces, des langues, des visages méconnus. La question se pose devant ce premier film bulgare dont les initiatives de « cinéma-vérité », appliqués sur un pays luttant encore avec le marasme bien connu d’après le « bloc de l’Est », dénotent moins une démarche radicale qu’une attitude assez sage d’élève se cherchant un peu.
Dans une capitale bulgare entre grisaille post-communiste (devenue lieu commun de cinéma) et persistants éclats de vie (surtout nocturne), le film fait croiser deux trajectoires de chute et de rédemption. Georgi, en pleine crise d’adolescence, tombe sous la coupe d’un groupuscule d’extrême-droite. Itso, plus vieux mais pas plus serein, est un graveur sur bois paumé et accro à la méthadone qui envoie tout promener, y compris sa copine un peu nunuche. Au milieu du film, le premier croisement entre les deux fils de l’histoire (Itso, attiré par une belle jeune femme turque, est témoin de l’agression de la famille de celle-ci par la bande de Georgi) nous apprend que les deux jeunes hommes sont frères. Si le récit du rassemblement inopiné d’une fratrie séparée dans des contextes tourmentés peut difficilement ne pas émouvoir un peu, difficile aussi de ne pas sentir, notamment face à cet effet de surprise bien préparé, la relative sécheresse de son dispositif quasi géométrique et ménageant soigneusement ses détours (deux tracés initialement parallèles qui se croisent une fois, puis deux, et une dernière fois pour conclure, telles deux tresses se renouant). La simplicité des motifs de la reconstruction (de la fratrie, de l’espoir dans un paysage n’y incitant pas vraiment), du renouement (chacun des deux frères va relever la tête après reconnaissance de l’autre), est quelque peu appesantie par la visibilité de la maîtrise avec laquelle le film arrange leurs parcours et leurs rencontres.
Cinéma-vérité arrangé
En plus de cette construction, le réalisateur Kamen Kalev s’appuie assez scolairement sur des pratiques connues de « cinéma-vérité » tourné dans l’urgence (caméra portée, acteurs non professionnels pour la plupart) pour mêler les tourments et les manques de repère de l’intime avec ceux de la société. Mais le résultat n’est modérément convaincant, tant on remarque ici et là les failles dans un assemblage qui offre finalement au jeune cinéaste peu de prise sur le réel qu’il prétend mettre en scène. Ainsi, censés être portés par des interprètes jouant un peu de leurs propres rôles, les personnages d’Itso et de son ex-petite amie donnent lieu à des scènes de disputes qui ne touchent guère, entre caractères outrés (pourquoi charger autant le personnage féminin ?) et incarnation faible, sans doute à cause, précisément, de ce choix d’acteurs particulier et au fond assez bancal (dans la réalité, c’est l’actrice Nikolina Yancheva qui était sur le point de plaquer son compagnon et partenaire Hristo Hristov…). Sur un plan plus global, l’usage d’une bande d’extrémistes dépeints comme des casseurs manipulés par des politiciens qui pourraient aussi bien être des mafieux n’amène pas très loin la réflexion esquissée sur l’empreinte de la xénophobie dans la société et les esprits. Et puis, pour réunir Georgi et Itso, l’intime et le social, il y a le personnage d’Işıl, la jeune Turque, que le cinéaste rend maladroitement dépositaire d’une conscience du monde martelée et artificielle, la faisant prêcher sur le sort des Tibétains et la nécessité de la tolérance face à l’extrémisme dont elle et sa famille sont victimes. Kalev éprouve manifestement le besoin de dire des choses et de traiter certaines thématiques (la famille éclatée, le rejet de l’autre, la Bulgarie d’aujourd’hui etc.), mais paradoxalement, son vouloir-dire et son désir de maîtriser la facture de ce premier long métrage ne le mènent pas aussi loin qu’il le voudrait. Espérons qu’il n’en reste pas là.