Ne vous fiez pas à l’affiche qui paraît annoncer un Transporteur à la suédoise, au titre tape-à-l’œil et à la racoleuse accroche « adapté d’un best-seller ». Dans la lignée de la trilogie Pusher, Easy Money est un film noir dont la sobriété de la mise en scène fait la part belle à un scénario aux enjeux forts et à une interprétation d’une grande maîtrise.
Adapté d’un roman à succès de Jens Lapidus (avocat connu pour avoir défendu les criminels scandinaves les plus célèbres), Easy Money suit le destin mêlé de trois hommes dans le milieu du crime organisé à Stockholm : JW (Joel Kinnaman), jeune étudiant en école de commerce, Jorge (Matias Padin), dealer en cavale, et Mrado (Dragomir Mrsic), tueur à gages. C’est à travers l’importation d’une grosse quantité de cocaïne dans le pays, centre de gravité du film, que le sort des trois personnages va se décider.
Après une première partie qui dresse le portrait un peu trop descriptif et figé de la jeunesse dorée de Stockholm, les véritables enjeux du film interviennent quand le milieu du crime vient se poser en contrepoint de celui des nantis. Le mérite de Daniel Espinosa est alors de parvenir à injecter au sein de sa fiction une dimension invisible qui tient du lien qui relie JW, Jorge et Mrado. La singularité d’Easy Money est de progressivement s’éloigner du simple film de gangsters, réduit à un prétexte narratif, pour préférer dépeindre la complicité qui s’installe, malgré leurs intérêts divergents, entre les personnages. On touche du doigt ce qui constitue sans doute le propre de tout bon film du genre, à savoir privilégier la sphère intime à la trame narrative ou plutôt faire résonner cette sphère invisible à travers l’intrigue mafieuse. À la manière du Parrain, film sur la famille avant d’être un film de mafieux, l’intérêt d’Easy Money réside davantage dans la rencontre entre ces trois personnages plutôt que dans l’intrigue liée au trafic de drogue. Sans atteindre la perfection du Cercle rouge, Daniel Espinosa s’attarde sur les affinités secrètes entre les trois hommes, dont la confrontation finale intervient comme le point d’orgue d’un lien construit dans la distance tout au long du film. On ne peut pour entrevoir ce rapport secret tissé par le film que citer l’exergue du chef d’œuvre de Jean-Pierre Melville (citant lui-même Rama Krishna): « Quand des hommes, même s’ils l’ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d’entre eux et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit, inéluctablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. »
C’est en suivant le cheminement psychologique de chaque personnage que Daniel Espinosa prépare le terrain à cette union finale. Toujours complice, la caméra les accompagne dans leur destin implacable à l’aide d’un cadrage rapproché et mobile. Chaque plan s’inscrit ainsi comme le maillon d’une longue chaîne de choix qui dessinent progressivement et sans effort le sort des trois hommes. La direction que prend inévitablement le film consent à ce qu’une étrange douceur vienne s’y lover, en grande partie grâce à l’ambigüité déployée par les trois acteurs, qui oscillent constamment entre peur et détermination. Joel Kinnaman dépasse son image de premier de la classe, dosant subtilement ambition et culpabilité. Face à lui, Matias Padin et Dragomir Mrsic excellent dans leur composition de bêtes noires en quête de salut. Avec la bienveillance de son regard, Daniel Espinosa construit une fiction sur le lien qui unit ces trois hommes dans un milieu où le self control devrait prédominer et réussit ainsi bien plus qu’une plongée dans les bas-fonds de Stockholm. Easy Money se place loin devant le rudimentaire film de gangsters bête et méchant. Reste à espérer que les deux prochains volets de ce qui s’annonce déjà comme une trilogie prolongeront cette ambition.